En décembre 2011, on apprenait que des hackers appartenant à la nébuleuse Anonymous avaient subtilisé cinq millions d’emails et d’autres données à la société privée de renseignement Stratfor Global Intelligence. Une affaire très embarrassante pour Stratfor, puisque ces emails révélaient la proximité, pas toujours très éthique, entre les services de renseignement et leurs prestataires privés. Parmi les données volées figuraient des identifiants de cartes de crédit. Les hackers avaient utilisé l’accès aux cartes de crédit pour faire, selon leurs propres indications, des dons d’un montant de plus d’un million de dollars à des organisations caritatives. Sans qu’on sache si ces dons étaient vraiment parvenus à ces organisations ou y étaient restés, puisqu’ils ont pu être annulés à la demande des propriétaires des cartes de crédit. Le « butin » d’Anonymous montrait que la société, qui compte des agences de renseignement comme la CIA parmi ses clients, n’était pas très à cheval sur la sécurité informatique, puisque des mots de passe donnant accès à ses bases de données figuraient en clair sur ses serveurs.
Les emails de Stratfor avaient ensuite été publiés en février 2012 par WikiLeaks. Une partie au moins des hackers à l’origine de ce cambriolage informatique ont été identifés et arrêtés. L’un d’eux a été mis en examen – il risque dix ans de prison au titre des chefs d’accusation retenus contre lui.
Aujourd’hui, un autre procès lié à cette affaire attire l’attention par la gravité des faits reprochés à un un personnage curieux, journaliste atypique proche d’Anonymous, Barrett Brown, qui risque jusqu’à 105 ans de prison. Le New York Times a publié ces derniers jours une enquête détaillée sur les charges retenues contre lui, montrant que les fronts se sont durcis entre ceux qui entendent révéler, grâce à leurs talents informatiques, les secrets et turpitudes des gouvernements et des entreprises
qu’ils emploient, et ceux dont la mission est de punir et de dissuader ces hackers. Sauf que, dans le cas d’espèce, Barrett Brown, un habitant du Texas âgé de 32 ans, n’est même pas accusé d’avoir volé ces emails. Fondateur d’un collectif qui se proposait d’analyser les données sensibles mises à jour par des hackers, Project PM, il avait animé à la tête de celui-ci un examen approfondi des emails de Stratfor. Ce qui lui est aujourd’hui reproché, dans ce contexte, est simplement d’avoir publié lors d’un chat un lien vers les données publiées par WikiLeaks.
« Barrett Brown a tout d’une victime plutôt compliquée », reconnaît David Carr dans le New York Times, avant d’égrener son parcours d’activiste-journaliste proche d’Anonymous, ayant à son actif des articles publiés dans des médias prestigieux comme le Guardian, Vanity Fair ou le Huffington Post, mais aussi des incidents fâcheux de harcèlement, notamment des menaces à l’égard d’un agent du FBI, dans le contexte d’une forte dépendance à l’héroïne.
Lorsqu’il a été mis en examen en décembre 2012, l’usurpation d’identité figurait en bonne place parmi les chefs d’accusation, du fait des identifiants volés de cartes de crédit parmi les données vers lesquelles pointait son lien. Brown n’a pas profité de ces identifiants pour s’enrichir. Son propos était d’utiliser son expertise informatique et journalistique pour décortiquer ce que les emails volés par Anonymous révélaient sur le monde du renseignement, et en particulier sur Stratfor, que certains appellent une « CIA privée ». Tout dans cette affaire indique que Brown est poursuivi pour avoir été au cœur de l’effort d’interprétation des données volées par d’autres. Publier un lien vers des données mises en ligne par WikiLeaks (beaucoup de médias avaient publié ce même lien) n’est certainement pas un crime passible de plus de cent ans d’emprisonnement. « Je pense que cette administration cherche à poursuivre par tous les moyens la publication d’informations », a commenté Jennifer Lynch, une juriste de l’organisation de défense des droits des internautes Electronic Frontier Foundation.