Nombreux ont été les médias qui ont proclamé ces derniers jours qu’un iPhone consomme plus d’électricité qu’un réfrigérateur. Se référant à une étude publiée par un certain Mark P. Mills, CEO de l’organisation Digital Power Group, le Daily Mail a ainsi affirmé qu’en moyenne, un réfrigérateur consomme 322 kilowatts heure par an, contre 361 pour un iPhone. Cette « révélation » se devait de frapper les esprits et d’alimenter les conversations de bistrot estivales. Le Daily Mail explique doctement que les sytèmes de communication mondiaux sur lesquels est branché l’iPhone par le biais d’Internet consomment 1 450 terawatts heure, soit dix pour cent de l’énergie consommée dans le monde, une part qui va aller en croissant au fur et à mesure que ces systèmes vont continuer de grandir.
L’étude, un pdf de 45 pages bourré de tableaux et de références, affirme par ailleurs que la majeure partie de l’électricité utilisée pour alimenter le « cloud » provient du charbon, ce que relèvent aussi le Daily Mail et les nombreux autres journaux qui ont repris cette « information », dont Time, Le Monde, Le Soir et Le Parisien.Il se trouve que les conclusions de cette étude, intitulée « The Cloud begins with Coal », sont fausses. Et qu’Il faut une sérieuse dose de mauvaise foi pour y parvenir. Pourtant, le sous-titre de l’étude aurait dû mettre la puce à l’oreille des rédacteurs : elle a été financée par deux organisations étatsuniennes liées aux charbonnages, l’Association nationale des mines et la Coalition américaine pour le charbon propre. Mark. P. Mills y a peint le portrait d’un Internet énergivore et fortement dépendant des énergies fossiles, le charbon en tête.
En réalité, c’est tout au plus un pour cent de l’énergie qui est consommée dans le monde pour alimenter les serveurs, ordinateurs, téléphones et lignes de transmissions en tous genres, comme le montre un effort de démontage méticuleux auquel s’est livré l’expert Jonathan Koomey. Les chiffres de consommation électrique des équipements informatiques avancés par Mills sont grossièrement surestimés, alors que ceux des réfrigérateurs sont significativement sous-estimés. Ses références
bibliographiques contiennent de nombreux titres soulignés, présentés comme des hyperliens mais qui n’en sont pas – sans doute une astuce pour donner à son étude une apparence de sérieux. Pour gonfler ses chiffres, il surestime aussi nettement les volumes de téléchargement moyens. La conclusion de Koomey est sans appel : l’affirmation de l’étude si largement citée qui met sur un pied d’égalité la consommation électrique, et par conséquent les émissions de gaz à effet de serre, d’un iPhone et d’un réfrigérateur « n’a aucun sens ».
Deux questions s’imposent. La première : quelles sont les motivations de Mark P. Mills et de ceux qui le financent ? Jonathan Koomey avance que les promoteurs du charbon souhaitent accréditer l’idée que les actions entreprises pour réduire les émissions de carbone auraient pour effet de mettre à genoux le secteur économique lié à Internet et aux réseaux de téléphonie. On peut aussi formuler l’hypothèse qu’en se présentant comme une source incontournable de l’énergie requise pour faire tourner les réseaux, les charbonnages, exploitants d’une des énergies fossiles les plus sales et les plus décriées, espèrent bénéficier du capital sympathie dont bénéficie l’univers des technologies de l’information.
La seconde : comment se fait-il qu’autant de médias reprennent sans sourciller cette affirmation abracadabrante ? On a beau évoquer le manque de ressources des rédactions malmenées par la concurrence du Net et la baisse des recettes publicitaires, on reste malgré tout stupéfait par cette parfaite incapacité de déjouer un piège de désinformation aussi gros, et ce même chez Grist, un magazine écolo en ligne basé à Seattle. Est-ce, comme le suggère Jonathan Koomey, parce que décortiquer un sujet un tant soit peu technique est au-dessus des forces de la plupart des journalistes ? Ou parce que la volonté de capter l’attention des lecteurs à l’aide de titres accrocheurs l’emporte sur toute autre considération ? Quelle que soit l’explication, les lecteurs méritent mieux, même au cœur de l’été.