Parmi les nombreuses retombées des révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage des communications individuelles par des agences gouvernementales américaines figure un litige entre Google et Microsoft d’une part et l’administration fédérale de l’autre. Les deux entreprises bataillent ferme pour obtenir le droit de publier des informations sur les requêtes de surveillance dont elles font et ont fait l’objet. À ce jour, leurs efforts ont échoué, et elles ont décidé de poursuivre leurs efforts devant la justice pour étendre leur droit d’informer leurs utilisateurs sur les demandes reçues de la National Security Agency.
L’enjeu, pour Microsoft et Google, est de taille. La colère des citoyens et des gouvernements espionnés par la NSA ne retombe pas, alimenté régulièrement par de nouvelles révélations sur l’ampleur de ces écoutes illégales, comme celles de ces derniers jours montrant l’invraisemblable espionnage des cercles de conseillers des présidents mexicain et brésilien, pourtant alliés de Washington. Dans cette ambiance délétère, les géants du Net (dont fait partie Microsoft, notamment par le biais de son moteur de recherche Bing) se doivent de se démarquer de l’administration et sauvegarder, autant que possible, le capital de confiance des internautes.
Les espoirs des deux entreprises sont assez limités : tout au plus espèrent-elles pouvoir publier des statistiques un tant soit peu significatives sur les requêtes dont elles font l’objet. Certes, ces statistiques révéleront aussi la coopération des deux groupes avec l’administration. Mais les révélations d’Edward Snowden et les comptes-rendus qui les ont suivies ont souvent pu suggérer que les grands groupes américains actifs sur le Net et dans les télécommunications accordent à la NSA un accès illimité aux données de leurs utilisateurs et clients. L’intention de Google et Microsoft est de remettre les pendules à l’heure sur ce plan : en obtenant de l’administration le droit de publier des chiffres sur les requêtes reçues et exécutées, ainsi que sur leur nature, elles peuvent espérer effacer cette fâcheuse impression. Pour l’instant, Google n’a le droit de publier que des fourchettes très étendues sur le nombre de requêtes qu’elle traite.
Pour l’heure, leurs espoirs ont été trompés. L’administration a surtout cherché à temporiser, pour annoncer il y a quelques jours qu’elle allait elle-même publier, une fois par an, le nombre de requêtes de sécurité nationale portant sur des données clients. Face à l’échec de leurs négociations avec l’administration, les deux entreprises rivales ont décidé de porter l’affaire conjointement devant un tribunal fédéral : elles souhaitent que soient publiées des statistiques plus détaillées,
précisant quand ces requêtes portaient sur des contenus d’utilisateurs, plutôt que des métadonnées telles que les numéros de téléphone appelés ou appelants, ou les émetteurs et destinataires d’emails.
À défaut de faire toute la lumière sur les pratiques de la NSA, ce litige devrait, à terme, permettre de comprendre un peu mieux à quels contenus spécifiques Prism et autres programmes d’espionnage donnent accès,
et dans quelles circonstances la NSA a besoin de faire appel aux opérateurs pour fouiner plus avant. Paradoxalement, il se pourrait bien qu’il révèle qu’en définitive, rares sont les occasions où elle a besoin de la coopération des opérateurs. À vouloir se dédouaner, Google et Microsoft risquent d’enfoncer encore davantage la NSA, ce qui pourrait expliquer la réticence de l’administration à publier des chiffres détaillés sur la cyber-surveillance qu’elle exerce. « Les chiffres de Google montreraient clairement que le nombre des requêtes auxquelles nous donnons droit n’a rien à voir avec ce qui est avancé. Google n’a rien à cacher », a déclaré la firme de Mountain View dans un communiqué. Le conseil de Microsoft, Brad Smith, a lui aussi été catégorique : « Nous pensons qu’aux termes de la constitution américaine, nous avons le droit de partager davantage d’information avec le public », a-t-il écrit sur son blog.