C’est un projet pour le moins atypique qui s’est concrétisé le week-end dernier dans la capitale. Dernier-né des festivals de jazz au grand-duché, Reset, initiative du Centre culturel de rencontres Abbaye de Neumünster (Neimëster), a fait salle comble trois soirs durant. C’est que le postulat du projet intriguait. Celui de réunir le temps d’une dizaine de jours huit musiciennes et musiciens de jazz originaires de toute l’Europe. Des artistes qui ne se connaissaient pas et qui ont dû préparer en quelques jours un corpus un tant soit peu cohérent à présenter au public. En début de semaine, tandis qu’ils répétaient à l’abri des regards indiscrets, des portraits stylisés des artistes, concoctés par Antoine Grimée, étaient placardés sur les réseaux sociaux. Au nombre de huit donc, Veronika Harcsa, chanteuse hongroise, Jan Brauer, allemand au design sonore et à la section électronique, Airelle Besson, trompettiste française, Tineke Postma, saxophoniste néerlandaise, Myrddin De Cauter guitariste et clarinettiste belge, Daniel Heskedal, tubiste norvégien, Luzia Von Wyl, pianiste suisse et enfin Pit Dahm, infatigable batteur autochtone. Toutes et tous réunis par Pascal Schumacher qui s’est vu confier la tâche de directeur artistique du festival. Retour donc sur trois soirées, inégales peut-être, mais captivantes.
Le jeudi 11 janvier, une sorte de marathon musical est prévu. Quatre établissements de la capitale accueillent chacun un duo ou trio parmi les huit musiciens pour des sets d’une demi-heure. Le coup d’envoi est naturellement donné à la brasserie Wenzel, attenante à l’institution, où la scène est partagée par Tineke Postma et Luzia Von Wyl. Assez sages, les deux musiciennes livrent un set encore assez lisse, les extravagances viendront plus tard. Justement, à 200 mètres de là au Vins Fins, Airelle Besson, Daniel Heskedal et Myrddin de Cauter explosent. En trois morceaux ils insufflent une certaine grandeur au lieu. Le jeu rythmique et insondable de Myrddin De Cauter accompagne parfaitement la trompette et le tuba de ses acolytes, des instruments classieux pour une collaboration jouissive. Le bar à vin, dont l’espace est très limité, est noir de monde, une quinzaine de personnes attend en vain à l’extérieur.
Au fur et à mesure, des groupes de spectateurs se forment. Dans l’ascenseur du Grund, on sympathise, des photographes comparent leurs clichés. Direction la troisième destination de la soirée. Au Gudde Wellen on commande à boire et on se bouscule pour aller à l’étage. Là, Pit Dahm est à la batterie. Il offre des solos endiablés puis s’empare d’une flûte par moment, son fanclub est présent. Il forme un duo éphémère avec Veronika Harcsa. Cette dernière se révèle, la foule compacte découvre une multiplicité de couleurs vocales. Son entrain est communicatif. Le show se termine sur une superbe version voix/percussions de Feeling Good. On retrouve la chanteuse au Konrad Café où Jan Brauer offre un set plus électro. Sur fond de techno minimale, des improvisations vocales et instrumentales se font entendre. Le jeu de Tineke Postma est plus fantaisiste qu’en début de soirée et lorgne vers un aspect plus free jazzesque, le niveau monte d’un cran. On se déhanche encore timidement. La première soirée se termine.
Le lendemain, un concert plus « classique » a lieu dans la salle Robert Krieps. Le public est sensiblement plus âgé que la veille, mais la salle est presque pleine. Ainhoa Achutegui, directrice des lieux, et Pascal Schumacher montent sur scène. On apprend les origines du projet, son aspect paritaire notamment avec autant de musiciennes que de musiciens, un fait rarissime au grand-duché, où la caste du jazz est évidemment, à quelques exceptions près, dominée par les figures masculines. En une heure trente de spectacle l’octuor varie les ambiances. Myrddin de Cauter est là encore admirable. Pascal Schumacher durant la présentation des artistes plaisante sur le fait qu’il est difficile d’énumérer cinq festivals en France qui n’ont pas programmé Airelle Besson l’an dernier, en l’entendant jouer on comprend pourquoi. Quelques passages plus laborieux contrebalancent l’ensemble. Néanmoins, standing ovation est faite, même si, étonnement, le public grand-ducal a tendance à avoir la standing ovation facile à Neimënster. C’est qu’on s’y sent bien.
Samedi 13, retour à la brasserie Wenzel pour la clôture du festival. Tout au long de la soirée, les sets s’enchaînent. L’octuor se divise et des musiciens luxembourgeois participent aux jam sessions. Ainsi Greg Lamy, Pol Belardi, Michel Reis, Jeff Herr ou Pascal Schumacher lui-même montent sur scène. Le gratin du jazz luxembourgeois s’est ainsi donné rendez-vous. La brasserie se vide au fil des heures qui passent. Vers 23 heures, les instruments sont rangés et Jan Brauer est aux platines. Ambiance dancefloor, le jazz est mort, vive les festivités. On y danse franchement. Dans un excès de mièvrerie on serait tenté de conclure en disant que preuve a été faite que la musique n’a ni de frontière ni de sexe, mais on ne s’y risquera pas. Cette première édition du festival Reset avait pour but de « réinitialiser tout ce que vous pensiez connaître à propos du jazz ». On n’ira pas non plus jusque-là. Si on passe outre l’aspect faussement sophistiqué de la démarche, on en gardera un souvenir doux mais surtout honnête.