Pour voir de l’art, on n’a pas nécessairement besoin d’aller au musée ou dans une galerie. L’art peut être au prochain coin de rue. Sur un mur. À Bristol, Berlin, Paris, Barcelone, Melbourne, … Même au Luxembourg, les œuvres et les artistes de la rue se multiplient.
Les icônes Impossible de nos jours d’écrire un article sur le street art sans mentionner quelques-unes des icônes du mouvement. Comme Banksy, célébrissime artiste anonyme qui a peint, entre autres, sur le « mur de la honte » à Jérusalem et qui a été exposé dans l’expo Banksy versus Bristol Museum. Ou comme Shepard Fairey, auteur des affiches « Obey » et de l’affiche « Hope » de Obama (récemment détournée en tant que « Nope » pour protester contre Trump ou en tant que « Martin » Schultz).
Si au Luxembourg le street art est moins présent que dans d’autres pays, force est de constater que la liste des artistes et/ou œuvres est grandissante avec The Plug, Eric Mangen, Sumo, Stick, Sanctobin, Jaek, ou encore Mint. Mentionnons aussi Mantra, auteur de la grande fresque à l’entrée de la Kulturfabrik et Paolo Cirio, auteur des récents Street Ghosts. Les autocollants provocants du collectif Richtung 22 pourraient aussi être comptés comme du street art. Rappelons aussi que certains endroits, juste avant d’être démolis (Aldringen, Monopol), ont été des vraies galeries éphémères où l’on pouvait voir de nombreuses créations d’artistes urbains.
Art, rue, musée : une relation ambiguë Entre le street art et le musée, il y a une relation doublement intéressante. D’un côté, le musée peut être un lieu de reconnaissance, de mise en contexte et d’analyse du mouvement. Le monde muséal a quasiment une obligation morale de montrer cette forme d’art. L’histoire du mouvement (de ses débuts dans les années 1960, jusqu’à sa récente montée en popularité), ses différentes techniques (bombes aérosol, pochoirs, affiches, autocollants, etc.), ses influences et les thèmes traités sont d’autant de dimensions qu’il faut examiner et discuter. Même dans le milieu académique, le steet art est devenu un sujet de recherche légitime depuis une dizaine d’années, notamment en géographie.
De l’autre côté, il y a un vrai paradoxe : le street art est fait dans la rue, pour la rue, pour tous. Avec sa muséification, il y a donc un vrai risque de voir son accessibilité se réduire, son côté subversif et critique se diluer, et sa nature non-marchande se pervertir. Le merchandising autour des icônes du street art bat de plein cœur et la vente de T-shirts, tasses, livres, posters, autocollants, etc. sont devenus un vrai marché.
Comment, donc, aborder le street art ? Il faut l’exposer, le prendre au sérieux, le reconnaître. Que ce soit au travers d’expositions, de sites web, de visites, de documentations, de recherches : il faut le rendre visible… et, en même temps, analyser cette mise en visibilité. Toutefois, il faut se rendre compte – et ce message est particulièrement difficile à entendre de la part des institutions politiques et même muséales – que le street art est une expression artistique qui n’est pas gouvernable, qui est post-muséale. Pour les pouvoirs publics la question est difficile : faut-il l’interdire et le criminaliser, l’accepter et le soutenir dans des endroits bien définis, avoir une politique du « laisser faire » ?
Entre le milieu urbain et l’art, la coexistence peut être compliquée. En se promenant à travers l’espace urbain luxembourgeois, par exemple, on voit de nombreuses enseignes et espaces publicitaires, des espaces publics de plus en plus privatisés et uniformisés. Le visage de la ville de Luxembourg et du Kirchberg est marqué par des traits – des « rides », aurait-on envie de dire – profondément financiers et commerciaux. Dans un tel contexte urbain, comment faire vivre une forme d’art qui, historiquement, détourne, questionne, transgresse et provoque ? La ville d’Esch-sur-Alzette semble un peu moins conservative et plus alternative que la capitale dans le domaine.
Le street art est-il devenu apolitique ? Rappelons que l’histoire du street art est liée à des vrais problèmes de société. Le mur, dans ce sens, a été le notebook des pauvres. Le mur a été la place pour ceux sans voix, pour pouvoir s’exprimer et raconter leurs histoires sur leurs maladies, souffrances, injustices et pour thématiser les drogues, la pollution, la domination, la violence, le racisme. De nos jours, le street art ne joue que très peu ce rôle.
Pour résumer l’évolution du street art, on peut dire que c’est un art qui s’est à la fois politisé et dépolitisé. Depuis quelques années, on a pu observer une multiplication d’initiatives publiques qui visent à donner une place à l’art urbain. Le street art a été officiellement reconnu comme pratique créative et légitime. Les expositions, budgets et mètres carrés qui lui sont dédiés en sont la preuve. La vision autrefois dominante – le graffiti est sale, illégal, criminel – a été abandonnée. En même temps, on peut se demander si le street art est devenu moins subversif et moins politique au fil des années. Car, tout en se voulant subversif par rapport aux canaux traditionnels du marketing et de communication, le street art joue aussi sur une certaine forme de self-branding. Et en regardant de nombreuses œuvres, on se demande parfois : quel est leur message politique ? Est-ce qu’un street artiste qui travaille « sur commande » a la même force de frappe que quelqu’un qui travaille de façon anonyme pendant la nuit ? Est-ce que le street art est toujours libre ?