Son truc, c’est les montages. Être derrière les coulisses, mettre la main à la pâte s’il le faut, planter un clou, passer un coup de peinture, aider à brancher des fils. « Avoir de tels moments privilégiés avec les artistes est extrêmement important pour moi. » Stilbé Schroeder a de grands yeux bleu clair derrière des lunettes surdimensionnées à monture foncée ; cheveux bruns raides avec une frange coupée à ras-le-front. C’est une personne toute fine qui accompagne les hommes, comme le responsable technique du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, Patrick Scholtes, et son assistant Nuerdin Ismajli, début mars à Venise, pour rejoindre l’artiste Mike Bourscheid et faire le montage de son pavillon Thank you so much for the flowers (voir page 30), dans la Ca’ del Duca, dans le cadre de la biennale d’art. « Avec Patrick, nous fonctionnons très bien ensemble », affirme Stilbé Schroeder. Engagée comme responsable de la coordination des expositions au Casino, elle est aussi l’assistante du curateur du pavillon luxembourgeois Kevin Muhlen et a suivi le projet de Mike Bourscheid dès sa sélection. De l’artiste, elle dit qu’il est « à fleur de peau » et très à l’écoute de son entourage et de ses collaborateurs. Lui se réjouissait de savoir la coordination de son pavillon entre de bonnes mains chez Stilbé – même si ce fut un casse-tête de toujours jongler entre plusieurs pays et continents (Luxembourg, Italie, Canada…) Jeudi dernier, lors du vernissage, elle surveillait tout et tout le monde, en poste durant trois heures à l’entrée du pavillon, accompagnait les visiteurs et captait leurs réactions. Globalement très positives.
Stilbé. « Oui, le nom… Tout le monde me pose des questions dessus. Normalement, c’est même la première chose que les gens me demandent quand je me présente : ‘c’est quoi, ce nom ?’ », elle esquisse un sourire, mais ne s’agace pas de toujours se voir interpellée sur ce détail. Elle le doit à son père, fan de mythologie grecque : c’est une des naïades ou nymphes aquatiques, un nom très peu commun. A-t-elle quelque chose d’une nymphe ? Plutôt pas. Quand elle parle, Stilbé vous regarde droit dans les yeux, redresse parfois ses lunettes avec les pointes de ses doigts, mais elle a de la confiance en soi – sans arrogance toutefois. Juste ce qu’il faut de rigueur pour revendiquer que les gens (et les institutions d’ailleurs) essaient, comme elle, d’avoir une certaine cohérence entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Ou de trouver qu’il serait « important de revenir vers un peu plus de précision et d’exactitude ». Car, trouve-t-elle, « nous, les gens de la culture, avons une responsabilité afin de redresser les choses, parce que tout est déréglé dans le monde ». Elle ne dit pas exactement où ces dérèglements commencent, mais elle sait qu’ils se terminent en guerres actuellement. Ces constats, elle les énonce avec force conviction, « je suis très intuitive et peut-être un peu naïve, mais dans un sens positif ».
Donc, Stilbé, son parcours : section E comme artistique au Lycée classique d’Echternach, « cursus durant lequel nous ne sommes pas allés une seule fois voir une exposition avec nos enseignants », regrette-t-elle. Parce qu’on se dit qu’à 31 ans aujourd’hui, elle devait avoir la dizaine quand le Casino a ouvert et qu’elle pourrait être de la « génération Casino ». Que nenni. « Mais je ne me suis jamais posée une seule question sur ce que j’allais faire », se souvient-elle aujourd’hui. Études en arts plastiques et histoire de l’art à Strasbourg, première expérience dans le montage d’expositions grâce à la curatrice indépendante Isabelle Henrion, qui la branche sur un job d’étudiant au Casino. Elle monte Colophon, la grande rencontre d’éditeurs de magazines de Mike Koedinger au Casino, enchaîne avec un stage chez Maison Moderne. Puis change pour le design graphique à Bruxelles, où elle reste deux ans, avant de retourner à Strasbourg. Durant toute sa période d’études, elle a fait des jobs à côté, pour se faire un peu d’argent (notamment au café Vis-à-vis) ou pour l’expérience dans des domaines qui l’intéressent : concept stores, design graphique, assistance dans des galeries ou des festivals de musique comme Musica ou Ososphère à Strasbourg. Mais c’est en assurant la coordination des expositions à La Chambre, un lieu dédié à la photographie à Strasbourg « que j’ai trouvé mon profil », de cela, Stilbé est certaine. « Tirer les ficelles en coulisses et être en contact avec les artistes » est ce qui la branche. Parce que, une fois en lien avec les artistes, on a une toute autre vue sur leur travail, raconte-elle, cette proximité permet de saisir aussi leur personnalité, qui ouvre d’autres lectures de leur création.
C’est ainsi qu’elle n’a pas hésité une seconde lorsque, en janvier 2015, lors du double vernissage de Resolute design changes et de 7 Tage de M+M, où elle traîne parce qu’elle aime bien les mondanités, elle apprend qu’il y a une place qui se libère au Casino, un CDD de remplacement d’un congé de maternité. Elle postule et passe toutes les étapes haut la main, décroche le poste. Suit la fermeture du centre d’art pour transformations. Mais Stilbé a du boulot : elle est alors l’assistante de l’artiste espagnole Lara Almarcegui qui fait l’exposition de réouverture. Et avec quel projet : Gypsum ne comportait pas seulement Le plâtre, ce tas de plâtre blanc qui accueillait les visiteurs à l’étage, fait des parois broyées des anciens white cubes, mais aussi des œuvres (encore) plus conceptuelles comme Droits miniers, pour laquelle il a fallu négocier avec l’Administration de la gestion des eaux pour avoir l’autorisation de faire un repérage d’exploitation potentielle du gisement de gypse qui se trouve à 130 mètres sous le Casino. « Ce sont des challenges, se souvient Stilbé, mais j’aime convaincre les gens, j’aime défendre des projets et des idées et je crois que j’ai un certain don pour comprendre mon vis-à-vis et savoir comment lui parler ». Ainsi, expliquer l’art conceptuel à des fonctionnaires d’un domaine spécialisé ne lui fait pas peur du tout. « J’aime parler, j’aime le dialogue et j’adore rencontrer des gens que je ne connaissais pas », affirme-t-elle.
Or, malgré cette aisance, malgré une évidente confiance acquise durant ses dix années à l’étranger, Stilbé ne veut pas être une experte en tout (contrairement à tant de gens au Luxembourg). Curatrice ? Elle hésite longuement avant de répondre que si elle aime le travail d’un artiste et qu’elle trouve important qu’il soit connu, elle le ferait, elle lui monterait une expo. Mais certainement pas uniquement dans le but de pouvoir arborer le titre de curatrice. « En complicité avec… » était le terme utilisé par une amie artiste pour désigner leur collaboration. Elle l’aimait bien, ce qualificatif. Les voilà encore, cette cohérence, cette précision et cette modestie qu’elle revendique.