La petite phrase d’Alain Berwick, lancée au détour de la conférence de presse de présentation de la grille de rentrée, vendredi dernier, explique toute la stratégie des programmes luxembourgeois de RTL Group : « Les investissements publicitaires sur Internet ont doublé l’année dernière ». C’étaient les seuls à afficher de si belles progressions. Car, dans un contexte difficile, la crise du marché ayant aussi atteint le Luxembourg, et suite aussi à l’arrivée des quotidiens gratuits, RTL Radio et Tele Lëtzebuerg traversent une période difficile. « Nous sommes loin des progressions des investissements publicitaires de l’ordre de vingt à 25 pour cent que nous avons connues jadis, estime le directeur des programmes luxembourgeois. En 2008, la hausse se situe aux alentours de huit pour cent, alors que, pour l’année 2009, les projections tablent sur un très modeste plus deux à trois pour cent.
En plus de cela, l’audience est en baisse, selon la dernière étude TNS-Ilres Plurimedia publiée le 30 juin : moins 4,5 à 42,5 pour cent des plus de quinze ans pour la radio et moins 2,1 pour la télévision, qui atteint désormais 33,7 pour cent. Alors que rtl.lu avance d’un demi point, pour atteindre 6,1 pour cent. Cette baisse des audiences et des investissements publicitaires était générale cette année, elle frappait tous les médias classiques. Peut-être parce que le marché se fragmente, avec de plus en plus de produits pour des publics de plus en plus ciblés, mais probablement aussi parce que le public jeune consomme autrement, qu’il choisit davantage l’écran d’ordinateur que celui de la télévision. Et parce que Internet progresse, RTL cherche à développer son site, dont une nouvelle version a été lancée lundi dernier. Parallèlement, wort.lu annonce une relance, préparée de longue date, pour le 1er octobre.
Les deux sites sont déjà aujourd’hui les leaders des sites d’information. Contrôlés par le système MetriWeb du Centre d’information sur les médias belge (Cim), ils comptaient en moyenne, les sept derniers jours, 19 682 visiteurs quotidiens différents pour rtl.lu et 8 942 pour wort.lu1. En comparaison : le gratuit L’essentiel, qui a un site assez fourni et interactif, comptabilise 4 400 visiteurs différents par jour, alors que les autres produits Editpress sont très faibles dans leurs versions électroniques : 434 visiteurs différents par jour pour le Tageblatt et 71 pour Le Jeudi en ligne.
rtl.lu et wort.lu sont déjà presque des ancêtres de la presse en-ligne au Luxembourg, tous les deux ont participé au premier enthousiasme du début de la décennie, avec de timides ébauches en html, puis la progression vers des logiciels plus sophistiqués, l’échec de l’e-paper, payant, puis des programmes multimédias, l’utilisation de l’interactvité... Tous sont désormais passés au tout-gratuit sur Internet.
Ironie du sort, la nouvelle bataille qui s’annonce, avec leurs relances, sera menée par deux anciens du Télécran : Fern Morbach, 48 ans, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire du groupe Saint-Paul et depuis deux ans rédacteur en chef de wort.lu, était à l’époque le chef de Luc Marteling, alors jeune journaliste tout juste sorti de l’école de journalisme à Munich et à la recherche du scoop – il était l’auteur de la très longue série d’articles sur le marché des pierres de parement du Musée d’art moderne. Depuis juin dernier, Luc Marteling est, à 33 ans, le rédacteur en chef de la section information de rtl.lu.
« Nous devons encore développer notre identité sur Internet, estime Fern Morbach. Mais ça, tout le monde doit encore le faire ! » Il est persuadé que cette identité ne se développe que grâce à l’information, avec le métier de journaliste. « Ce qui est certain, c’est que c’est l’information génère le plus de trafic, » estime, pour sa part, Luc Marteling.
D’où cette réorganisation de l’architecture du site rtl.lu : dès le portail d’entrée, on arrive désormais sur une page clairement structurée, qui s’ouvre sur un bloc de six nouvelles très brèves, reprises des informations de la radio et de la télévision, et illustrées chacune par des photos. Les jeux, les models uncovered et autres produits aguicheurs descendent en bas de page. L’équipe New Media de RTL compte douze collaborateurs, techniciens et gérants compris, dont quatre sont exclusivement responsables de l’information. Avec une si petite équipe, Luc Marteling a, avec son supérieur hiérarchique, le chef de l’information des programmes luxembourgeois Marc Linster, fait le choix de ne pas sortir pour couvrir des conférences de presse. Les membres des rédactions radio et télévision leur fournissent images et sons, à eux de les retravailler, résumer et préparer pour le web. « Les synergies avec les autres équipes fonctionnent très bien, » se réjouit Luc Marteling.
Un exemple de telles synergies : lundi dernier, RTL Radio Lëtzebuerg annonçait, dans son flash d’information de seize heures, que l’avocat Gaston Vogel menaçait de saisir la Cour des droits de l’homme au nom de ses mandants, les policiers inculpés l’année dernière dans l’affaire Bommeléeër, pour la durée jugée excessive de l’instruction. Trois minutes plus tard, un SMS avec la même nouvelle arrivait sur le portable des abonnés de ce service (payant), alors que la radio et la télévision diffusaient des reportages très brefs sur le sujet dans leurs journaux du soir. Rtl.lu quant à lui affichait la nouvelle en brève, avec un fichier audio comportant l’interview intégrale de douze minutes de l’avocat.
« Nous n’en sommes pas encore au point de l’Internet first, » concède Fern Morbach, mais que le quotidien papier n’a plus toute l’exclusivité. Ainsi, lorsque la rédaction a par exemple appris que le conseil de gouvernement allait discuter, jeudi dernier, de l’envoi éventuel de deux policiers en Géorgie, on n’a plus attendu la parution du Wort le lendemain pour l’annoncer, mais la rédaction en ligne a publié l’information dès dix heures du matin, alors que la réunion des ministres était encore en cours. « Selon nos enquêtes en-ligne, qui sont bien sûr toujours à prendre avec des pincettes, car non-représentatives, plus de la moitié de ceux qui y ont répondu, affirmait ne pas être des lecteurs fidèles du Wort, » affirme Fern Morbach. Le site wort.lu est d’ailleurs souvent ressenti comme étant plus libéral dans ses opinions et points de vue, et plus direct, voire même plus impertinent, plus jeune dans son style que son aîné en papier.
Actuellement, l’équipe de wort.lu réalise elle-même à peu près vingt pour cent des articles publiés sur le site, le reste étant repris soit de la version papier, soit des agences de presse internationales. L’objectif de Fern Morbach étant de devenir encore plus rapides, de commencer peut-être plus tôt à actualiser le site – un premier pic de visiteurs se situe aux alentours de sept heures. La majorité des visiteurs de wort.lu vient d’ailleurs en cours de matinée, avant d’aller déjeuner, puis revient vers seize heures, juste avant de rentrer, peut-être parce les abonnés viennent alors de recevoir la newsletter résumant l’essentiel de l’information du jour – un peu comme un journal du soir. « Mais le soir, il n’y a plus de visiteurs, » ajoute le rédacteur en chef. Son équipe à lui est constituée d’une douzaine de personnes aussi, dont six journalistes, qui, eux, sortent de la rédaction, assistent aux conférences de presse ou partent en reportage.
« Notre objectif est de commencer plus tôt le matin afin de répondre à cette demande du public, et puis de développer le week-end, » annonce Fern Morbach. Qui se moque un peu de son concurrent : « Mais nous ne parlons pas d’un Journal du dimanche, c’est un gag purement promotionnel. C’est absurde de vouloir démarquer Internet dans le temps ! »
Car voilà : afin de marquer un coup et d’occuper le créneau laissé vide depuis la mort du Quotidien dimanche, rtl.lu va lancer une Sonndeszeitung, un Journal du dimanche, à partir de ce dimanche, 21 septembre. Ce « journal » sera en-ligne dès quinze heures samedi et reprendra l’essentiel des informations de la semaine, les rubriques informations nationales, internationales, sportives, culturelles et de services quotidiennes, mais aussi toute une partie plus feuilletonesque. C’est aussi un peu une revanche sur les nouveaux journaux gratuits, qui grignotent les parts de marché des médias RTL – autant les battre avec leurs propres armes.
« Nous sommes très flexibles sur Internet, souligne Luc Marteling. Nous n’avons pas de bouclage, nous pouvons constamment actualiser nos informations. » Pour les résultats sportifs par exemple, des modules simplifiés du logiciel permettent aux collaborateurs free-lance de la radio par exemple d’actualiser aussi les informations sur le site Internet. Les grands exploits des sportifs luxembourgeois ces derniers mois, que ce soit en cyclisme, au tennis ou au football, ont d’ailleurs généré une explosion du trafic sur les sites, les fans ayant même massivement utilisé la fonction « livre d’or », où ils pouvaient inscrire leurs félicitations pour leurs idoles. Rtl.lu vient d’ailleurs aussi d’introduire une rubrique « lettres à la rédaction », qui est toutefois modérée, comme celle de wort.lu.
Fern Morbach affirme avoir constaté que des formats plus longs que les quatre ou cinq paragraphes d’un article d’information-type, sont aussi très prisés par leurs lecteurs, notamment tout ce qui est reportage original, de préférence accompagné d’un album photo, ainsi que des commentaires francs et directs. C’est un volet qu’il compte développer. À partir du 1er octobre, le site changera surtout d’aspect et de mise en page, le rédacteur en chef compare la nouvelle maquette à celles des versions en ligne de la Süddeutsche Zeitung, de la Neue Zürcher Zeitung ou du Kicker, notamment parce qu’ils ont choisi le même logiciel. Des éléments vidéos seront introduits peu à peu, plus une fonction archives, où seront alors stockés tous les articles de la rédaction de wort.lu – qui, actuellement encore, disparaissent après quelques jours.
Les archives sont déjà aujourd’hui un des principaux attraits de rtl.lu, qui reprend toutes les émissions de la télévision et les principaux éléments de la radio depuis les débuts du site. Ainsi, Internet modifie profondément le profil des différents médias, combinant la logique du flux et de la rapidité de la radio, les images de la télévision et les éléments de stock et de mémoire de la presse écrite. Car si rtl.lu vient de l’image et wort.lu du texte, ils sont en train de se rejoindre au milieu pour se concurrencer sur un nouveau terrain, pour les lecteurs comme pour les annonceurs et les parts de marché.