Grâce à l’Europe, et uniquement à l’Europe, l’heure du Conseil national des programmes (CNP) est peut-être venue. Lorsque le ministre des Communications, Jean-Louis Schiltz (CSV), se dit prêt à mettre davantage de moyens, notamment humains, à disposition de l’organe de contrôle et de régulation du paysage audiovisuel luxembourgeois, mardi, lors de la séance d’intronisation du nouveau président, Tom Krieps (LSAP), c’était moins pour ses beaux yeux que par obligation – pour ne pas avoir l’air trop ridicule sur le plan européen. Car les 75 000 euros que le gouvernement met cette année à la disposition du CNP(contre 85 000 en 2007) suffisent à peine à financer un poste que se partagent deux personnes à mi-temps, plus les bureaux et quelques frais administratifs et d’études – ses homologues européens comptent plusieurs centaines d’employés. Or, la nouvelle directive européenne sur les médias audiovisuels (2007/65/CE), entrée en vigueurle 19 décembre, accorde aussi plus d’importance aux autorités derégulation et à leur collaboration sur le plan européen1.
Si le Luxembourg et son paysage médiatique veulent donc être pris au sérieux dans les réunions de ces organes, comme l’Epra (European platform of regulatory authorities), ou en dialogue avec ses homologues européens, il faut au moins créer un semblant de structure professionnelle de régulation. Car 17 ans après sa création, par la loi sur les médias électroniques de 1991, le CNP reste un club d’amateurs, enthousiastes peut-être, mais d’amateurs quand même – alors que la communication et les médias s’enseignent depuis bien vingt ans aux universités du monde. Constitué de 24 mandataires de ce qu’on appelait alors « la société civile » – cultes reconnus, partis politiques, syndicats et autres associations demusiciens, d’écrivains, de femmes, sportives ou de défense des droits des étrangers, des enfants oude la nature – le CNP manque toujours de professionnalisme.
Certes, il n’oserait plus publier un rapport comme celui de 2000 sur RTL, qui avait discrédité tout l’organe aussi bien par sa forme que par son contenu, et ses colloques comme Médiamorphoses, les rapportsqu’il commandite à l’Université de Trèves ou à des études d’avocats, tout comme sa communication, par exemple par le site Internet, ont l’air un peu plus sérieux depuis que l’organe peut payer deux personnes à mi-temps.
Mais à qui leurs communiqués font-ils peur ? À quoi servent leursavis, sinon à leur conscience ? Surtout que depuis trois ans, le CNP ne se prononce plus que sur des sujets on ne peut plus banals avec des communiqués très vagues, comme la télévision numérique ou la nécessité de l’éducation aux médias. Si le nouveau président, représentantdu parti socialiste dans cet organe, demande donc plus de moyensfinanciers et de personnel au gouvernement, de l’indépendance et uncahier de sanctions afin de pouvoir les graduer à l’encontre des contrevenants à la loi, il ne fait que réitérer une vielle demande. Sous le précédent gouvernement et le précédent ministre, les cartes du CNP étaient bien meilleures, François Biltgen (CSV) ayant même envisagé de réformer l’organe en une autorité de régulation indépendante. Pour Jean-Louis Schiltz toutefois, les priorités étaient ailleurs, par exemple dans la renégociation du contrat de concession de RTL, signé en février 2007, dans la lutte pour la reconnaissance du principe du pays d’origine dans le secteur des médias audiovisuels, finalement inscrite dans la nouvelle directive, la difficile gestion du dossier du passage au numérique, l’extension du secteur du e-commerce, la réforme de la loi sur la production audiovisuelle ou la défense des intérêts de RTL TVi, qui a opté pour une licence luxembourgeoise en 2006… afin d’échapper au régulateur belge, le CSA, qui leur a, à leur goût, cassé les pieds. Maintenant que tous ces dossiers sont traités, le voilà prêt à se consacrer, un an avant les élections, à l’autorité de régulation.
D’où son annonce du dépôt, dans les prochaines semaines, d’un projet de loi de réforme du CNP, lui attribuant notamment des moyens de sanctionner les opérateurs qui ne respectent pas leurs cahiers des charges ou les lois en vigueur. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel français par exemple peut suspendre l’autorisation d’émettre, réduire la durée de l’autorisation ou carrément la retirer. Or, déjà, le ministre Schiltz a insisté sur le fait que le retrait d’une concession restera dela compétence du gouvernement, comme son autorisation est égalementaccordée par le Premier ministre pour le gouvernement2. L’arsenaldes sanctions pourra comporter le blâme, voire l’amende.
Mais Jean-Louis Schiltz ne cache pas pour autant son approche libérale : « Mes prédécesseurs ont eu raison de miser sur le privé » rappela-t-il devant les membres du CNP mardi. Car la politique des médias luxembourgeoise a été, est et reste une politique pour RTL. Aujourd’hui, après l’arrêt de T.TV en 2007, le paysage audiovisuelluxembourgeois a quasiment retrouvé son visage d’avant 1991,avec une seule télévision nationale et commerciale, RTL Tele Lëtzebuerg.
Même si de petites expériences ponctuelles comme dokTV, Uelzechtkanal, Nordliicht TV, Chamber TV et, depuis quelques mois, Luxe TV luxembourgeois vivotent à côté sans faire de mal à personne.Les quatorze programmes terrestres dont le contrôle incombe au CNP appartiennent tous à la CLT-Ufa ; la douzaine de programmes par satellite sont exploités par quelques petites sociétés, comme DVL (Luxe TV), Setanta Sports ou Current Media, la société du prix Nobel Al Gore.
Même avec deux ou trois postes professionnels au CNP, il resterait unorgane peu inquiétant pour ces opérateurs, car les charges que l’État leur impose sont minimales et si générales qu’elles croulent sous lebon sens : respect des droits de l’homme, protection de l’enfance...En Belgique ou en France, l’État est autrement plus sourcilleux, lescontraignant par exemple aussi à des investissements en productionaudiovisuelle, cequi peut carrément devenir coûteux.
Même sans avoir vu le projet de loi, on en connaît déjà le credo : autantde contrôle que nécessaire pour répondre aux attentes de l’Europe,une façade un peu rafraîchie, mais qui fasse aussi écran pour le siteLuxembourg comme havre de paix pour les médias du giron de RTL.
1 À ce sujet, elle retient notamment que : « les États membres sont libres de choisir les instruments appropriés, en fonction de leurs traditions juridiques et des structures établies, et notamment la forme de leurs organismes de régulationnationaux indépendants afin que ceux-ci puissent mener à bien leur tâche de mise en oeuvre de la présente directive de manière impartiale et transparente. Plus particulièrement, les instruments retenus par les États membres devraient contribuer à la promotion du pluralisme des médias. Une coopération étroite entre les organismes de régulation compétents des États membres et la Commissionest nécessaire pour garantir la bonne application de la présente directive. »
2 En 2005, la Commission indépendante de la radiodiffusion, responsable du contrôle des conditions techniques de diffusion, avait retiré la permissiond’émettre de Radio Waky.