Des regrets ? Finalement, oui, il y en a, quelque part. Quand, pour réfléchir, Maurice allume la nième clope et constate que, « je ne sais pas combien de sujets j'ai lancés sur les inondations durant une année et demie, mais je n'ai jamais eu les pieds mouillés, je ne sais pas ce que ça fait ». C'est peut-être le désavantage du présentateur sur le journaliste, celui du rédacteur sur l'homme ou la femme de terrain.
Pourtant, à 32 ans, il a beaucoup atteint en journalisme, Maurice Molitor. Presque tout. En fait, il est allé très haut bien plus jeune encore. En octobre 1991, il était le premier présentateur, avec Sandie Lahure, du premier journal télévisé quotidien de RTL Hei Elei, alors encore sous le rédacteur en chef des débuts, Jean Octave. Non seulement commençait-il par la présentation du journal télévisé, qui constitue déjà une des positions les plus convoitées du métier, mais en plus, il était le premier à ce nouveau poste quotidien, alors que tout restait à inventer, lorsque la télévision luxembourgeoise commençait enfin à décoller.
Comme pour tant que journalistes luxembourgeois, tout à commencé par des stages à Radio Lëtzebuerg, durant ses études de journalisme à Dortmund. « C'était Pilo Fonck qui m'a introduit à la télévision, » se rappelle-t-il, et que par la suite, tout allait très vite. Depuis 1997, il est en plus rédacteur en chef, donc doublement gestionnaire du produit qu'est le journal télévisé, resté au Luxembourg beaucoup plus qu'ailleurs, la grande messe, fédératrice des téléspectateurs grands-ducaux. « Parfois, ces deux responsabilités sont effectivement difficilement compatibles, » constate-t-il sobrement, que le stress du rédacteur en chef augmente avec l'approche de l'heure fatidique du journal - 19h30 tous les jours - alors que lui et Caroline Mart doivent aussi se concentrer sur la rédaction de leurs lancements, sur l'organisation, l'agencement, la technique du JT.
On ne le dirait pas comme ça, mais ce garçon svelte, en jean et pull durant la journée, plutôt discret dans la vie, a un énorme pouvoir - ou appelons-le plutôt « poids » - dans son métier. Un pouvoir d'influence qui dépasse désormais, et de loin, celui de l'éditorialiste du Luxemburger Wort. Parce que, en plus de l'audience, RTL dispose d'une arme redoutable : l'image. Les grands yeux des enfants de réfugiés apeurés après l'expulsion d'un des leurs de leur classe il y a dix jours n'a laissé personne indifférent ; la mobilisation de la société civile n'aurait probablement pas été aussi unanyme si le soir des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, il n'y avait pas eu une caméra devant l'hôtel Ibis.
S'il est conscient de cette incroyable responsabilité ? Maurice Molitor répond bien sûr par l'affirmative : « Mais je suis quand même encore souvent étonné de l'envergure que prennent les choses après un de nos sujets ou Top Thema ». Comme encore lors des négociations de coalition à Esch, où un seul entretien télévisé avec le dissident Josy Mischo a déclenché, ou au moins accéléré le grand déballage.
« Le Top Thema, c'est un peu mon bébé » dit-il non sans fierté, et que c'est son espace de liberté, la tranche durant laquelle il peut pleinement exercer son métier de journaliste. Cela fait quatre ans que fonctionne ce concept, depuis la nouvelle grille et l'introduction de la Stonn fir Lëtzebuerg à la rentrée 1995, et l'entretien du jour a acquis une certaine indépendance par rapport à l'actualité journalière, la chronique des chiens écrasés et des comptes-rendus des conférences de presse que l'on retrouvera dans tous les médias. « Nous voulons aussi y 'faire', 'créer' l'actualité, lancer des débats ».
Maurice Molitor allume encore une cigarette, nerveux comme tous les journalistes. À côté d'un grand espace ouvert qui sert de bureau à toute l'équipe des quelque 25 collaborateurs du programme de télévision luxembourgeois, il a le privilège d'un bureau individuel, avec une porte qu'on peut fermer pour un peu de calme. Et qu'il faut fermer pour que fonctionne le système de climatisation / aération.
Puis le constat que, oui, même si la campagne électorale s'est majoritairement jouée à la télévision, il reste comme une frustration que le débat n'a jamais vraiment décollé du niveau de politique politicienne. Alors que son ambition à lui, ce serait que RTL contribue à ce que les discussions politiques, sur les grandes orientations de la société luxembourgeoise s'approfondissent.
« Ceci dit, je trouve mon métier toujours très excitant, tient-il à ajouter. Je ne crois pas que je vais m'en lasser de sitôt » Le revers de la médaille ? Peut-être la notoriété, que quelque part, tous les téléspectateurs croient le connaître, que les gens se retournent dans la rue. « Je n'aime pas trop ça, mais cela fait probablement partie de mon métier ». Pour se protéger, il a un déguisement infaillible, qui le fait rire lui-même : « Quand je vais faire mes courses, j'enlève mes lunettes ».