On nous prédit un hiver rude. Mieux vaut donc penser à se prémunir contre le froid en réchauffant nos murs. Cela peut se faire de manière littérale, en y accrochant des tentures et pourquoi pas en y ajoutant une touche d’onirisme et d’art contemporain ésotérique ?
Bea Bonafini nous propose tout cela, avec Unearthly à la galerie Nosbaum Reding. Elle n’est pas la première à revenir à la pratique du travail textile, la tapisserie, qui remonte au moyen âge, quand il n’y avait pas d’autre moyen de chauffer et de décorer les pièces des châteaux. Ainsi, à la Biennale d’art de Venise cette année, on peut voir un nombre impressionnant de travaux tissés, dont les motifs, pour beaucoup, sont constituées d’entrelacs complexes, rehaussés de pierreries.
Bea Bonafini ne travaille pas de manière traditionnelle, sur le métier à tisser. Elle utilise des morceaux de moquette, ou mieux, de haute laine. La moquette, qui recouvrait le sol entier des pièces chez nos grands-parents est passée de mode (les Belges disent tapis-plain, ce qui illustre bien l’aspect de pièces entières). On trouve cependant dans les enseignes de bricolage et de décoration des moquettes de petits formats, qui plaisent surtout pour décorer les chambres de bébés. Des fabricants de luxe continuent quant à eux à réaliser des tapis de haute laine à partir de cartons de créateurs, technique dont Bea Bonafini s’empare pour créer ses œuvres contemporaines. Ces modes d’assemblage nécessitent au préalable, la création du « carton », ce qui est donc aussi un emprunt à l’art de la tapisserie.
Du moyen âge, il nous en sont parvenues des extraordinaires comme le récit de la Tapisserie de Bayeux ou la Dame à la Licorne. La Renaissance n’a pas été en reste en privilégiant les scènes mythologiques qu’appréciaient les princes et les rois pour glorifier leur personne et leur pouvoir en ayant recours à la mythologie et aux héros antiques. Faisons maintenant un grand saut dans l’histoire : au Bauhaus, au début du vingtième siècle il y avait un atelier de tissage, dont les créatrices, extraordinaires, Anni Albers et Gunta Stöltzl, sont enfin reconnues à l’égal de leurs homologues masculins de l’école d’avant-garde. Une autre femme, Sheila Hicks, fut la première à créer des pièces textiles contemporaines en trois dimensions, qui correspondaient aux années de libération de la femme : rondes, volumineuses.
Bea Bonfanti est dans le droit fil, littéralement, de toutes ces représentations aux murs de la galerie Nosbaum Reding avec des soies de bambou tuftées et teintées à la main : du jaune au rouge et du rouge au rose, pour deux pièces jumelles et deux autres dans le registre de tons pastel, bleu et beige. Leur force d’expression, leur poésie, vient de leur forme qui déjoue la géométrie traditionnelle du tapis et le vide – qui pourrait se référer aux petits trous de tissage par exemple des tapis Killim – est, dans ses créations, un entre-deux qui les relie.
Deux autres créations reviennent à la forme rectangulaire traditionnelle et à la représentation figurative. Ces pièces sont réalisées au pastel sur une marqueterie de tapis de laine. Un personnage du plongeur est présenté non pas à plat sur la cimaise mais à le détacher et à le présenter à la verticale du mur, ce qui le rapproche de l’art sculpté. De ci de là une peinture au motif ésotérique (gouache et aquarelle sur fond de liège gravé), rythme les murs où une frise peinte court d’œuvre en œuvre. Les tapisseries et peintures sont les séquences de multiples d’épisodes oniriques que nous raconte Bea Bonafini. Des histoires qui ajoutent un épisode à l’art très ancien de la tapisserie.