Décor insolite, mais « typiquement allemand ». Quelque chose des scènes brechtiennes. Sobriété éblouissante et efficacité. L'auteure de ce travail plastique, il faut la remercier : Jeanny Kratochwil. Il s'agit d'un lit asymétrique accroché à une paroi taillée en triangle (coupant la moitié de l'espace scénique). Le grand pan de mur est rouge, recouvert d'une montagne d'inscriptions blanches (des mots, des syllabes : Disziplin, Kunst, Strumpf ou Verführung). Le lit est blanc, recouvert de délicates couvertures de soie et de satin, tout ceci est blanc crème. Et elle en chemise de nuit en dentelle (blanche naturellement) semble être clouée à ce literie métallique, destinée à une seule personne. Cette pièce en langue allemande s'appelle Der Graue Engel (« L'ange gris ») et son auteur porte le nom de Moritz Rinke.1
Seule, la comédienne Christine Reinhold qui interprète le personnage mystérieux de Marlene Dietrich (inutile de faire les présentations !) ; seule comme une pierre, elle s'élance, statique vers son texte, le capture et commence à le façonner, le malaxer.
Un texte très dur, extrêmement rigoureux - chaque mot y est arrangé de telle sorte que les phrases semblent être des réflexions philosophiques froidement ordonnées. Mais beaucoup de poésie s'écoule aussi de ce « monologue à deux », comme l'appelle le sous-titre. Marlene nous révèle à quel point la vie d'une femme célèbre et surtout d'une femme tout court, flétrissant et cruellement seule, est dur à vivre. « Insupportable ! » s'écrie-t-elle dans ces quelques moments de légère frénésie en posant finalement un « il faut que cela continue, cela ne peut que continuer. » De quoi parle-t-elle ? Tout de suite, dès ses premières paroles excessivement articulées, on découvre réellement une Marlene Dietrich, probablement malade et sûrement seule et malheureuse... et elle songe à sa vie passée, son ambition, sa gloire mondiale, ses rencontres, ses amants et ses fameuses jarretières auxquelles moult amants se sont accrochés et y ont laissé leur empreinte. Et puis il y a aussi ces bouquets de fleurs, témoignage de l'atroce tendresse poétique d'Adolf Hitler...
Étouffants, les mots s'accélèrent avec précision, des leitmotiv désespérés, comme si elle voulait encore une fois revenir en arrière - juste une seule fois.
Son valet, son compagnon de derrière heure, son « dernier amant » aussi, Konstantin, un grand gaillard terrorisé, ne s'exprimant que par grimaces et sautillements enfantins la seconde dans sa douce folie. Superficielle, oui, et elle ne souhaite que recommencer, repartir en voyage avec ses objets fétiches, elle voudrait se rendre à Berlin. Et elle disserte sur ses stratagèmes qui ont su fixer tant d'amants (Maurice Chevalier, Jean Gabin ou Erich Maria Remarque) à ses jarretières.
Mais, sincèrement, on la comprend - elle est comme vidée, atterrée et à côté de son « matériel » accumulé au fil du temps, elle a également accumulé des idées et des images. Sa vie désormais est faite de scènes tirées de sa vie passée. Elle interprète le rôle de Marlene Dietrich. Elle tente sa dernière Weltverführungskunst - séduction. Parallèlement, la vieille Marlene rapetissée, se desséchant vocalement réagit à la vie, à la mort. Un peu égocentrique, ça ! « Il faut se présenter avec les mains propres devant la mort ! » dit-elle.
Le texte de Moritz Rinke autour de ce mythe féminin est si dense qu'il en devient tout doucement presque indigeste. Trop c'est trop. Même pour les deux comédiens. Un monologue à deux semble être un exercice et non un plaisir, et ce en plus complètement exténuant. Dommage qu'à la fin de la pièce, ils aient manqué tous deux de cette pêche indispensable pour arracher l'attention du spectateur.
Plus vraiment de hargne, une sorte de laisser-aller dans le jeu ou carrément plus aucune envie. En tous cas ce qui est sûr, c'est que certaines scènes auraient largement pu être raccourcies : un manteau ex-machina descendant lentamente lentamente et puis une valse toute molle qui n'en finit pas. Les effets voilages et fumée créent une ambiance tamisée, seulement elle berce et certains finissent par s'endormir. La mise en scène de Dieter Peust n'a pas vraiment su soutenir un texte riche, abondamment touchant et parfaitement aménagé.
1 Autres pièces de Moritz Rinke : Männer und Frauen et Das Stockholm-Syndrom.