Le Bundestag allemand a entendu lundi le plaidoyer d’un militant opposé à une directive européenne sur la conservation de données de communications à titre de précaution (« Vorratsdatenspeicherung »), qui a présenté ce stockage comme contraire aux droits individuels garantis dans la loi fondamentale de la République fédérale. Le militant, Kai-Uwe Steffens, a obtenu le droit de présenter ce point de vue devant une commission du Parlement allemand grâce à une pétition qui a, l’an dernier, recueilli plus 65 000 signatures. Cette pétition exige que le législateur déclare la directive européenne inacceptable et demande qu’elle soit annulée.
Cette directive, adoptée en 2006 essentiellement au titre de la lutte anti-terroriste, exige la conservation des données pendant une période allant de six mois à deux ans, afin de pouvoir tracer et identifier la source et la destination d'une communication, ainsi que d’autres données relatives à cette communication. Le tir de barrage contre certains aspects de cette directive avait commencé avant même son adoption par la Commission, le Comité des Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures du Parlement européen ayant recommandé d’en réduire considérablement la portée, notamment en limitant la durée de rétention à un an et en restreignant le champ d’application aux situations où existe un mandat judiciaire et aux enquêtes visant des crimes assez importants pour faire l'objet d'un mandat d'arrêt européen.
Par la suite, après que la Commission eut passée outre ces réserves, les Cours constitutionnelles de Bulgarie et de Roumanie avaient déclaré cette législation inconstitutionnelle, tandis que l’Irlande avait porté plainte contre elle. Six ans plus tard, elle continue d’occuper le législateur allemand. L’Allemagne en a adopté une transposition en droit national qui est entrée en vigueur en 2008. Mais beaucoup d’Allemands considèrent toujours ses dispositions comme relevant de Big Brother.
« Nous devons nous poser la question où tracer la ligne rouge », a déclaré Kai-Uwe Steffens devant la Commission des pétitions du Bundestag. Cette ligne rouge, a-t-il poursuivi, est franchie lorsqu’on « stocke sans raison particulière ». Pour le groupe de travail Vorratsdatenspeicherung, les droits fondamentaux des citoyens sont directement menacés par cette directive, car elle justifie des intrusions dans la sphère privée qui ne sont ni spécifiques, ni nécessaires ni proportionnelles. Des études scientifiques ont montré qu’on ne peut pas établir de manière convaincante que la conservation des données contribue à l’efficacité des poursuites pénales, a fait valoir le pétitionnaire : ce ne serait le cas que si les données de communications étaient stockées de manière indéfinie et intégrale, en autorisant leur décryptage, ce dont à l’évidence personne ne veut.
Steffens s’est aussi appuyé sur l’exemple de la Hongrie, dont l’actuel gouvernement s’appuie sur la législation résultant de la transposition de la directive pour accompagner ses menées contre la liberté de la presse, l’opposition et la liberté d’opinion.
Par la voie de Max Stadler, secrétaire d’État au ministère fédéral de la Justice, le gouvernement a confirmé l’absence de preuves d’une corrélation entre la conservation des données telle qu’elle est déterminée par la directive et une plus grande efficacité des poursuites pénales. On ne peut pas exclure cependant, a-t-il avancé, que les données stockées puissent dans certains cas déboucher sur des pistes utiles aux policiers. Le ministère de l’Intérieur s’est montré plus favorable à la conservation des données, argumentant par exemple qu’elle avait aidé à enquêter sur le groupuscule violent d’extrême droite NSU, tout en reconnaissant l’absence de bases scientifiques étayant son utilité.
Clairement, la conservation des données telles que l’a adoptée la Commission européenne ne jouit pas d’une grande estime au sein de la société allemande. Le Bundestag a publié un communiqué sur la réunion de sa Commission des pétitions, citant le représentant du ministère de la Justice en ces termes univoques : « La conservation des données est anti-constitutionnelle ».
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 05.10.2012