Imaginez que vous soyez extraterrestre. Ou touriste. En tout cas que vous ayez débarqué au Luxembourg samedi dernier, 13 octobre, jour de la douzième Nuit des musées. Voici le tableau qui se présente : à 19 heures, par hasard, vous apercevez à la télévision le quatrième épisode de Generation Art, un talent show pour artistes plasticiens1. Puis vous vous apprêtez à découvrir, en même temps que quelque 12 000 autres visiteurs, les programmes des musées de la capitale. Et là, stupéfaction : le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain invite à des visites de quatorze ateliers d’artistes installés temporairement dans l’ancien casino bourgeois et permettant aux spectateurs de participer en direct live à leurs réflexions, à leurs discussions et à la création d’œuvres d’art, alors que le Mudam, musée d’art moderne au Kirchberg, offre une rétrospective des pavillons luxembourgeois à la biennale d’art contemporain de Venise ces 25 dernières années. Entre deux visites, vous empruntez le passage par le sous-sol du centre Aldringen, où une cinquantaine d’artistes graffiti, dont nombre de résidents, sont à l’œuvre durant tout le week-end pour embellir cet espace à l’abandon. Et à deux pas de là, au Cercle Cité, plusieurs artistes autochtones participent à l’exposition Kann es Liebe sein ? instiguée par deux curateurs indépendants. Quelle scène artistique florissante ! Quel soutien public à l’art en train de se faire. « C’est exemplaire ! » devrait s’exclamer le moindre auteur de guide touristique.
Mais peut-être que tout cela n’est qu’un pur hasard du calendrier – où chacun des acteurs aurait réagi à un reproche récurrent de la part de la scène artistique locale (relayé par les décideurs politiques) de ne pas être suffisamment représentée dans les institutions et les médias. On atteint donc actuellement presque un trop-plein, où tout le monde a droit à ses 15 minutes of fame si chères à Andy Warhol ou au précepte tout aussi démocratique du Jeder Mensch ein Künstler de Joseph Beuys. Car voilà : l’État et la Ville ont créé des infrastructures culturelles en nombre – ayant chacune son directeur et son service de médiation –, qui se voient parfois rappelés à l’ordre que la volonté politique impose aussi une certaine représentativité des artistes autochtones. Le geste protectionniste n’est finalement pas si différent que l’appel à consommer de l’eau / des produits laitiers / de la bière et même peut-être des cigarettes luxembourgeois.
Enrico Lunghi du Mudam a donc trouvé la belle pirouette d’une rétrospective des pavillons nationaux à Venise, ce qui lui permet de concilier attentes politiciennes locales et niveau international. Pour la majorité du public luxembourgeois, ces installations majestueuses comme celle de Bert Theis dans le grand hall, de Simone Decker dans le petit pavillon ou de Martine Feipel et Jean Bechameil, respectivement de Gast Bouschet et Nadine Hilbert au sous-sol, sont vraiment une découverte, car peu nombreux sont ceux qui ont vu toutes les participations nationales à cette plus grande biennale d’art contemporain en Europe. L’expérience au Casino par contre est déjà plus délicate, parce que le spectateur n’y contemple pas une œuvre qui soit le fruit d’un processus, mais voit le processus lui-même, avec ses doutes, ses ratés, ses attentes, ses moments vides... et a souvent l’impression de violer, en le traversant, l’espace si intime de l’artiste qu’est son atelier. Les artistes sont en outre extrêmement différents dans leurs formations, leurs approches, les disciplines artistiques dans lesquelles ils s’expriment et le niveau de leurs réflexions, voire même de leurs ambitions. Generation Art donne également à voir cet acte de création, même si, là encore, le niveau des artistes qui se sont portés candidats ainsi que leurs attentes, sont autres. Mais voilà, tout ne se vaut pas. Il y a des œuvres qui sont nulles et des artistes qui n’ont rien à dire. Actuellement, il y de tout, sauf une chose, pourtant essentielle pour les artistes : de la contestation pour mettre en doute ce même système.
Lucien Kayser
Catégories: Architecture et urbanisme
Édition: 12.10.2012