Le marché doit s'autoréguler, l'interventionnisme, sous quelque facette que ce soit, ne peut être considéré autrement que comme étant un frein au développement. Les lois du marché, fondement des théories (néo)libérales, seraient donc aptes à tout réguler, la liberté (économique) doit être telle que des bornes n'ont plus le droit d'exister. La théorie est absolutiste et reste, pour l'instant, en grande partie de la théorie. L'héritage de l'histoire, de la culture sociale freine encore l'abolition des vestiges de l'État-Providence, mais la direction est clairement entamée.
Le néolibéralisme a pris la relève du libéralisme, la liberté économique selon la théorie capitalistique a mis le turbo. Les privatisations de services publiques sont devenues monnaie courante et se font sans trop d'opposition, même si elles touchent à des domaines sensibles. Même les tissus de la solidarité sociale, à l'image des Caisses de maladie ou des Caisses de pensions, font de plus en plus l'objet de convoitises et de spéculations financières. Tout un symbole, étant donné que ce tissu social est le fondement d'une certaine conception de la société. À partir de là, ce n'est plus la solidarité qui prime, mais le pur intérêt personnel. Une certaine idée du monde serait donc en train de laisser sa place à son antagonisme. La liberté individuelle poussée à l'extrême veut que la notion de communauté n'ait plus qu'un seul sens, celui de l'intérêt individuel.
La fameuse pensée unique aurait ainsi intégré la conscience collective à tel point qu'elle est acceptée, inconsciemment, comme une valeur sociétale.
La presse joue un rôle important dans l'acceptation et l'avènement de la pensée néolibérale : répandre, et donc implicitement aider à faire accepter une pensée, se fait par la communication. Si la presse joue un rôle fondamental dans l'avènement de modèles sociaux, elle se trouve elle-même, dans son fonctionnement, très fortement influencée par l'idéologie dominante.
Les lois du marché sont donc appelées à réguler aussi le fonctionnement de la presse. Dès lors, la finalité d'un groupe de presse réside de moins en moins dans l'information, mais le marché de l'information devient de plus en plus un commerce de communication à finalité lucrative. La profession, et donc le travail journalistique, s'en ressent. Les considérations économiques déterminent le travail journalistique.
La précarisation des journalistes, surtout en France, va en galopant. Le nombre de pigistes, c'est-à-dire de journalistes sans contrat fixe et payés par contribution, a littéralement explosé dans les années 90 (plus de 18 pour cent des journalistes français reconnus par carte de presse sont des pigistes, à quelques exceptions près une main d'oeuvre flexible et globalement sous-payée). Qui veut travailler comme journaliste mensualisé en France devra passer plusieurs années par le statut, précaire, de pigiste. Il s'ensuit une certaine docilité du journaliste et sa déresponsabilisation. L'urgence, pour le journaliste ne résidant plus dans l'information, mais dans
la publication de son travail, les valeurs morales et déontologiques du métier passent facilement au second rang.
Les critères de rendement agissant sur l'information la mettent finalement en scène. Très souvent, l'information traitée et la façon dont elle est traitée répondent à des impératifs économiques. Que ce soit un intérêt spécifique du groupe propriétaire ou la recherche de la cible publicitaire la plus portante, les médias suivent une logique de marché dans le traitement de l'information qui se retrouve cadenassée. D'un côté, le « consommateur » n'est plus traité en tant qu'individu responsable, il lui est présenté du spectacle au lieu d'analyser l'actualité. De l'autre, la présence dans les capitaux des médias de grands groupes industriels a remplacé le dirigisme et la censure politique d'antan par une tutelle économique. Par le biais de budgets publicitaires, vitaux, les médias qui échappent au contrôle direct des grands groupes tombent quand même sous les mêmes « contraintes ».
Les journalistes perdent ainsi de plus en plus la maîtrise du contenu de l'information. Pour la retrouver, il devra d'abord en être conscient pour agir. En expliquant, par exemple, la construction et les mécanismes de communication de l'information. En tant qu'acteur véhiculeur de l'information, il appartient à lui de proposer autre chose au public.