Alors que le débat concernant les temps d'antenne consacrés aux femmes et hommes politiques à la télévision nationale - campagne électorale oblige - tourne à la polémique (cf. d'Letzeburger Land n° 12/99), personne pour l'instant ne semble s'intéresser aux comptes rendus, voire aux «publicités» politiques dans la presse imprimée. Certes, surtout en ce qui concerne les quotidiens, la situation semble claire: le Luxemburger Wort (L.W.), propriété de l'archevêché, roule pour le Parti chrétien-social (PCS), le tageblatt (t), propriété des syndicats de gauche bataille pour le Parti socialiste (POSL), le Journal, dont le conseil d'administration est présidé par Henri Grethen, le leader officieux du Parti démocratique (DP), prend fait et cause pour le parti de celui-ci, la Zeitung vum lëtzeburger Vollék est l'organe officiel du Parti communiste (PCL). Le seul quotidien a priori neutre, le Républicain lorrain (R.L.), affiche depuis un certain temps des sympathies à peine cachées pour l'Aktiounskomitee fir Demokratie a Rentegerechtegkeet (ADR). Du côté de la presse hebdomadaire, la fraction parlementaire des Déi Gréng (Verts) a une forte présence au sein de la rédaction du Gréngespoun, le Télécran appartient au groupe Saint Paul qui détient aussi le L.W., le Jeudi est la soeur du tageblatt, la Revue a définitivement perdu toute ambition politique quand elle ne se distingue pas par un populisme outrager, à l'image d'articles criards sur l'insécurité dans l'OEsling ou de pâles éditoriaux écrits à l'eau de rose.
En d'autres termes, chacune des publications précitées, à l'exception de la Revue, possède une ligne éditoriale politique clairement déterminée par son appartenance ou sa proximité partisane. Cette spécificité de la presse nationale est quasiment élevée au rang de tradition. Tout un chacun est au courant, presque personne ne s'en offusque.
À l'approche des élections, ces lignes éditoriales ont tendance à se durcir. Outre les reportages ou commentaires de connivence et les guéguerres que se livrent les publications entre-elles, qui sont en réalité des guéguerres entre partis où les journalistes se plaisent en tant que chiens de garde, les colonnes des journaux s'ouvrent largement pour des campagnes publicitaires en faveur du «parti ami». Or, à l'exception du R.L - à cause de son appartenance à un groupe de presse français - les autres publications énumérées profitent de l'aide à la presse et doivent, pour la très grande majorité d'entre eux, leur survie à cette subvention étatique.
Dès lors, l'«aide directe de l'État à la presse écrite», officiellement créée en 1976 pour garantir le pluralisme de la presse et des opinions ainsi que pour garantir le débat public, revient toujours plus à un financement indirect des partis politiques... et de leurs campagnes électorales. Partant du principe que les partis politiques sont partie prenante sinon instigateur du débat public, cet adage peut ne pas paraître contradictoire: la presse partisane est subventionnée pour que le débat politique existe. Toujours est-il qu'à partir de là, le débat public risque de se limiter au débat politique partisan. Il risque dès lors, à l'image du projet BTB (cf. l'éditorial en page une), de vite tourner à la simple polémique infructueuse.
Dans leur code de bonne conduite concernant les campagnes électorales législative et européenne, les partis politiques signataires (PCS, POSL, DP, Verts et ADR) s'engagent à limiter, de commun accord, les dépenses de campagne. L'accord règle la durée pendant laquelle les affiches seront exposées, les partis s'abstiennent d'utiliser des surfaces commerciales pour apposer leurs affiches, s'engagent à ne pas acheter d'espaces publicitaires auprès des médias audiovisuels et à limiter le nombre de «gadgets» à deux. Il n'y est, et pour cause, nulle part question de campagne électorale dans les médias imprimés.
Si le t, la Zeitung et le Journal proposent pour la plupart du temps un habile mélange entre propagande partisane et travail journalistique - sorte de «publi-reportage politique» -, le L.W, qui fait de même, propose cependant un plus au PCS. En cette période préélectorale, le quotidien catholique met de plus en plus de place à disposition du parti chrétien. Ainsi, la feuille de liaison du parti, le CSV-Profil, qui a le net avantage de paraître régulièrement comme supplément (intégré) au L.W., double de volume. Cantonné, en temps normaux, sur une seule page, le CSV-Profil en compte désormais au minimum deux. De plus, le CSV-Profil profite dorénavant, et ce à coup sûr jusqu'à la période post-électorale en automne, d'un emplacement de choix: en ouverture de cahier, de préférence juste avant les pages sport qui sont, le week-end, les plus consultées avec les annonces familiales et les offres d'emploi. Parallèlement, les médias de l'empire Saint-Paul mettent à disposition du PCS des pages entières pour présenter ses listes et offre des demi- pages bien placées aux ministres PCS pour y vanter leurs actions.
Les autres organes de presse peuvent émettre çà et là des critiques à cet état des choses, mais ils se feraient vite prendre la main dans le même sac et se faire taxer de jaloux s'ils criaient trop au loup. Outre les espaces publicitaires mis gratuitement à la disposition des partis, les autres publications n'ont rien à envier au L.W. en ce qui concerne les commentaires et reportages politico-partisans. Sans même parler des éditoriaux, le «Politische Kommentar» ou la «Politische Woche» du L.W. ont leurs petits frères et soeurs sous les mêmes formes dans tous les journaux. Le grand avantage du L.W. réside uniquement dans sa diffusion: si le tirage du L.W. atteint près de 90000 exemplaires, le t en tant que poursuivant direct fait déjà pâle figure avec ses à peine 27000 exemplaires, les autres restant - parfois nettement - sous la barre des 9000 exemplaires.
Le PCS détient ainsi, par «sa presse amie», un avantage indéniable sur les autres partis en ce qui concerne la formation de l'opinion. Surtout qu'à l'approche des élections, tout journal tant soit peu partisan s'adonne allègrement à un style de reportage encore plus tendancieux qui se répercute à tous les niveaux: les pages locales voire sportives deviennent vite, si ce n'est que par le choix des sujets traités, des pages politiques.
La campagne électorale ne se limite donc pas seulement à la présence des femmes et hommes politiques à RTL Télé et Radio Lëtzebuerg, même si cette présence connaît effectivement le plus de répercussion. La presse écrite a ainsi un grand rôle à jouer, mais à force de s'enfermer dans sa raison d'être partisane, le message politique qu'elle véhicule perd la crédibilité toute relative dont bénéficient les médias audiovisuels de RTL (subventionnés indirectement par l'État), a priori neutres.
La prédominance entre le L.W. et RTL devient toutefois préoccupante lorsque les mêmes personnes arrivent à quasiment monopoliser les deux médias. Le PCS a occupé, pour la période du 1er mai au 31 décembre 1998, quarante pour cent du temps d'antenne de RTL Télé Lëtzebuerg contre 29 pour cent au POSL, seize pour cent au DP, dix pour cent aux Verts, les autres se situant entre un et trois pour cent.