Le discours est inhabituel pour ce secteur : plan social, mobilisation syndicale, restructuration, réaffectations, licenciements. Il s’agit ici du domaine des assistantes sociales, dont personne ne doute de la nécessité, surtout en temps de crise, catalyseur de situations de détresse matérielle. Seulement voilà : la nouvelle loi sur l’aide sociale, qui prendra ses effets en janvier prochain, prévoit que les travailleurs sociaux seront dorénavant employés par les Offices sociaux communaux, dont les conseils d’administration seront formés dès le mois prochain. Ils embauchent, organisent le travail et sont responsables de la rémunération du personnel. La moitié de ces frais pourra être remboursée aux communes par l’État. Les petites communes devront se regrouper pour créer un Office social commun pour au moins 6 000 habitants et qui occupera un travailleur social et un demi poste de secrétaire.
Une trentaine de bureaux couvrira donc le territoire national. Soit, les communes embaucheront directement sur le marché, soit elles concluront une convention de sous-traitance avec une organisation active dans le domaine social qui s’occupera de la gestion journalière du service.
Parallèlement, les conventions de l’État avec les organisations comme la Croix rouge, qui permettaient de financer le personnel, prendront fin le 31 décembre 2010. Or, une trentaine de travailleurs sociaux actifs sur le terrain ne sait toujours pas ce qu’elle deviendra après le 1er janvier 2011. Ils font partie du service social de proximité, chargés de travailler dans l’urgence, de trouver des solutions aux situations de crise dans le court terme, pendant trois ou quatre mois. Ils aiguillent ensuite les familles et personnes dans le besoin vers d’autres services qui prennent le relais à moyen ou à long terme. Un peu comme le médecin diagnostiqueur aux urgences d’un hôpital.
Or, la tête dans le guidon, ils n’ont pas suivi l’évolution des effets de la loi et ses répercussions sur leur propre avenir. « Nous avons été assez naïfs de croire que les autorités allaient prévoir des mesures transitoires, une sorte de priorité à l’embauche lors de changement de statut, » regrette Catia Santi, assistante sociale et présidente de la délégation du personnel au sein de la Croix rouge. Elle a toujours soutenu les principes de la loi et ses effets sur le travail social, sans pour autant s’imaginer qu’elle et ses collègues risquaient d’en être les perdants. Les dirigeants de l’association n’ont pas non plus, semble-t-il, eu le réflexe de s’activer à temps auprès des communes pour leur proposer un concept clé en main qui règle aussi la question de leur personnel.
Or, dans l’intervalle, la concurrence n’a pas chômé. « Les organisations sont maintenant toutes en train de démarcher les responsables locaux pour leur offrir leurs services, alors que nous avons la pratique du terrain, ayant parfois travaillé vingt, trente ans dans ce domaine », poursuit Catia Santi. Justement, l’ancienneté et l’expérience coûtent cher et certaines communes auront sans doute tendance à leur préférer de jeunes assistants sociaux, sortant tout droit de l’école. Surtout que les plus anciens ont le « malheur » de travailler sous le statut avantageux d’employé communal et non sous la convention collective de travail pour les salariés du secteur d’aide et de soins et du secteur social. S’y ajoutent le fardeau des us et coutumes qui se maintiennent toujours – surtout dans le monde rural – comme la tendance d’embaucher « des gens qu’on connaît », préférant recruter des membres de la famille de connaissances personnelles ou politiques, plutôt que de miser sur l’expérience et la connaissance du terrain. D’ailleurs, les entretiens d’embauche se font le plus souvent par des personnes qui ne connaissent pas trop le métier.
Les communes de la région du nord ont par exemple créé le service Résonord qui regroupe quatorze communes représentant quelque 21 000 habitants. Une convention a d’ores et déjà été conclue avec Elisabeth asbl, une organisation de la Congrégation des Sœurs de Sainte Elisabeth, jusqu’ici plus connue pour la gestion de foyers et de structures d’accueil pour les personnes âgées, les familles et les enfants. Moins pour ses interventions d’urgence sur le terrain. La Nordstad compte aussi installer un seul bureau pour neuf communes – les négociations sont en cours pour les 4,5 postes créés.
« Le ministère de la Famille a organisé le travail social pendant des décennies, explique Catia Santi. En tant qu’employeur honnête, il aurait dû veiller à en assurer le suivi et à fournir certaines garanties après le réagencement de tout le système de l’aide sociale. » Des entrevues ont été demandées à la ministre Marie-Josée Jacobs (CSV) et au ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf (CSV). D’un autre côté, la situation désastreuse des travailleurs sociaux concernés est aussi le résultat d’un historique difficile avec la séparation en 2001 de la Croix rouge et de la Ligue médico-sociale, qui se regardent aujourd’hui en chiens de faïence. Alors que les temps donnent raison à ceux qui ont misé sur le regroupement et le resserrement des liens, comme ce qui se passe au sein de la Confédération Caritas, qui a de fortes chances de se retrouver en position dominante sur de nombreux secteurs du domaine de l’aide sociale.
D’autre part, les professionnels du secteur social s’étaient attendus à plus d’initiatives de la part des communes qui auraient eu intérêt à se regrouper davantage pour former de vraies équipes et développer des politiques sociales dignes de ce nom au lieu de se contenter de n’embaucher qu’une ou deux personnes, dont les moyens et le champ d’action demeureront somme toute très restreints.