Tout est dans ce dossier vert pomme, posé sur la nappe à motif provençal. Toute une vie dans un classeur, chaque document, chaque lettre, chaque photocopie de formulaire attestant que Dusan Stankovic existe, qu’il est né le 9 octobre 1993 à Gnjilane, à l’Est du Kosovo, et a déposé une demande de protection internationale en 2009 – une demande « annulée » le 15 novembre 2011, prouve le tampon sur la feuille. Cette photocopie d’un certificat plusieurs fois plié est le seul papier d’identité qui reste à Dusan. Impossible de quitter le Luxembourg ou de voyager avec ça.
Sous d’autres chemises en plastique tout aussi proprement classées, Dusan a des photos de ses interventions en tant que pompier, sa carte d’identité de service de l’Incendie / Sauvetage de Walferdange (matricule 18935) dont il n’est pas peu fier, et une lettre officielle de la même commune certifiant que, comme ses stages au sein de la « régie communale » s’étaient déroulés à l’« entière satisfaction du responsable », ils seraient prêts à l’embaucher avec un Contrat d’initiation à l’emploi. « Qu’est-ce qu’on doit faire encore pour prouver qu’on est bien intégré au Luxembourg ? » demande le jeune homme, démotivé.
Cinq ans Le périple de la famille Stankovic, Dusan et ses parents, ressemble à celui de tant d’autres familles originaires des Balkans. Ils sont venus au Luxembourg relativement tard, en 2009, soit dix ans après la guerre, que son père a faite dans l’armée serbe, « c’était son boulot », il en fait toujours des cauchemars. Lorsque l’armée kosovare a retrouvé sa feuille d’enroulement, et que d’anciens collègues ont été arrêtés, emprisonnés et ont, pour certains, disparus, il a eu tellement peur qu’il est parti avec sa famille, direction Luxembourg, persuadé que le pays leur accorderait sa protection. Dépôt d’une demande de protection internationale (DPI), foyer Don Bosco, puis Marienthal. Commencent l’attente, les interrogatoires. Dusan, qui a alors seize ans, est scolarisé au Lycée technique du Centre, annexe Kirchberg, en classe de neuvième modulaire, puis intègre une classe d’IPDM (initiations professionnelles divers métiers), avec des formations très pratiques.
Puis vient le verdict de l’administration : il n’y aurait « pas de dangers pour vous » au Kosovo, jugent les services du ministère de l’Immigration. La famille, assisté par un avocat, introduit de nombreux recours contre cette décision, se retrouve par deux fois, en 2011 et en début de cette année, au Centre de rétention, à deux pas de leur expulsion, mais à chaque fois, leur avocat a pu les sortir de là pour des raisons de vices de procédures surtout. L’ultime résultat devrait tomber d’ici la fin du mois. Afin d’éviter une expulsion à main armée, avec interdiction de quitter le territoire kosovar pendant plusieurs années, les parents de Dusan ont été voir l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), prêts à s’inscrire pour un retour volontaire, mais, selon leurs dires, l’accueil fut tellement méprisant qu’ils se sont ravisés.
Honte Assise à côté de Dusan, Diane Hansen ne décolère pas. « J’ai honte pour mon pays ! » dit-elle. La Luxembourgeoise de 45 ans, dynamique, engagée et sportive, fut l’enseignante de Dusan au lycée et s’est prise d’amitié pour la famille, essayant de les aider où elle le pouvait. Lorsqu’ils durent quitter le dernier foyer dans lequel le ministère de la Famille les logeait jusqu’à la fin de leur procédure de demande, Diane Hansen accueillit toute la famille chez elle, partageant leur vie et les soutenant dans leur intégration : la mère a trouvé des employeurs en tant que femme de ménage (au noir, forcément), le père promène les chiens durant plusieurs heures par jour et Dusan s’engage en tant que pompier (2 750 heures et 300 interventions en 2013, plus de nombreuses formations) et perfectionne ses langues – il parle couramment français, comprend le luxembourgeois et travaille l’allemand et l’anglais. Suite à plusieurs voyages à la mer du Nord (toujours sans papiers, forcément aussi), Diane et Dusan tombent amoureux, « mais c’est une relation que nous assumons tous les deux, nous la vivons ouvertement, malgré notre différence d’âge de 24 ans » affirme-t-elle. Ils ont été le certifier au ministère de l’Immigration et veulent se marier – « ce n’est pas un mariage blanc ! » souligne Diane Hansen. Là encore, l’administration est dubitative, voire agressive, comme si souvent, leur propose une solution pour le mariage, puis la retire. Diane Hansen se bat sur tous les fronts, mais s’y ajoute le rejet de sa propre famille, qui la fait expulser de la maison leur appartenant en partie, elle trouve un propriétaire qui leur fait confiance, mais elle tombe en dépression, est en arrêt maladie depuis plusieurs mois. « J’ai tout perdu, je n’ai plus que ma tête qui reste assez rapide », affirme-t-elle, mais qu’elle n’arrêtera pas de se battre. Elle demande des renseignements sur quels services elle pourrait contacter encore, à qui elle pourrait encore écrire, quel ministre serait susceptible de les aider. Elle ne veut pas se résigner, mais défendre leurs droits jusqu’à gagner ce qu’elle ne considère que justice : qu’ils puissent rester.