En France, l’INSEE révélait le 30 août dans une étude intitulée « Les niveaux de vie en 2009 », qu’il y avait dans ce pays 8,2 millions de pauvres, c’est-à-dire vivant avec moins de 954 euros par mois pour une personne seule ou moins de 2 385 euros pour un couple avec deux enfants. Cela représente 13,5 pour cent de la population totale.
Cette publication a provoqué un certain émoi, et d’importantes retombées médiatiques, pour plusieurs raisons.
La première est purement statistique. La pauvreté étant un concept éminemment relatif, il est d’usage, dans les pays développés, de la mesurer par rapport au revenu médian, c’est-à-dire celui qui partage la population en deux parties d’effectifs égaux. Le « seuil de pauvreté », tel qu’il est généralement utilisé par les organismes statistiques nationaux (comme le Statec au Luxembourg) ou internationaux (comme Eurostat) est de 60 pour cent du revenu médian après impôts et prestations sociales.
Or, en France, l’INSEE a longtemps utilisé un seuil à 50 pour cent du revenu médian, soit 795 euros euros pour une personne seule. 4,5 millions de personnes vivent avec moins que cette somme. Le fait d’utiliser la norme habituelle de 60 pour cent fait mécaniquement augmenter, dans de fortes proportions, le nombre de « pauvres ».
L’autre raison tient naturellement à l’augmentation rapide du nombre de personnes concernées : en un an 337 000 personnes sont passées en-dessous du seuil, soit une augmentation de 4,3 pour cent, alors que les effets de la crise ne se sont pas encore entièrement fait sentir.
La population pauvre peut être divisée en trois parties à peu près égales : les jeunes de moins de 18 ans, les inactifs de plus de 18 ans et les actifs. La catégorie des « salariés pauvres » est limitée à 6,3 pour cent du total des salariés. Mais la pauvreté s’aggrave chez les non-salariés (artisans, commerçants et certaines professions libérales) dont les revenus sont très sensibles à la conjoncture. Leur taux de pauvreté passe de 15,3 à 16,9 pour cent en un an à peine. Comme on pouvait s’en douter, la pauvreté touche surtout les chômeurs (plus du tiers d’entre eux ont des revenus inférieurs au seuil), les femmes au foyer (30,3 pour cent) et à moindre titre les étudiants (20,3 pour cent).
La population pauvre est assez concentrée puisque la moitié des pauvres gagnent entre 733 et 954 euros (soit entre 46 et 60 pour cent du revenu médian) mais « l’intensité de la pauvreté » augmente : il s’agit de l’écart entre le revenu moyen des pauvres et le seuil de pauvreté, passé en un an de 18,5 à 19 pour cent.
On remarque par ailleurs que le fait de rehausser de dix pour cent le seuil de pauvreté, ce qui revient à le faire passer de 795 à 954 euros pour un célibataire, soit plus vingt pour cent, se traduit par un accroissement de 82,2 pour cent du nombre de personnes concernées !
Le seuil de pauvreté est un indicateur contesté depuis longtemps. On lui reproche par exemple de ne considérer que les revenus et non les patrimoines, en particulier le fait de posséder ou non son logement n’est pas pris en compte. De même, si la taille et la composition du foyer sont inclus dans le calcul, le lieu d’habitation ne l’est pas. Or, à la campagne et dans les banlieues des grandes villes, les habitants de maisons disposent souvent d’un terrain qu’ils peuvent cultiver. Le fait de ne pas avoir de loyer à payer et de pratiquer l’autoconsommation influe grandement sur l’appréciation du niveau de vie et on ne peut pas alors forcément parler de « pauvres », sur la base d’une mesure exclusivement quantitative des revenus.
C’est la raison pour laquelle les organismes internationaux comme Eurostat parlent, non pas de pauvres, mais plus précisément de personnes en risque de pauvreté. Comme inversement, on peut vivre difficilement même avec un revenu supérieur au seuil de pauvreté, les indicateurs de revenus sont désormais complétés par des données permettant d’apprécier la pauvreté de façon plus qualitative pour parler d’exclusion sociale.
Au niveau européen, la situation en 2009 n’était pas brillante, avec 81 millions de personnes (soit 17 pour cent de la population de l’UE) en risque de pauvreté. Les taux les plus élevés étaient enregistrés en Lettonie (25,7 pour cent), en Roumanie (22,4 pour cent) et en Bulgarie (21,8 pour cent), alors que les Pays-Bas, la Slovaquie (11 pour cent chacun) et la République tchèque (8,6 pour cent) étaient les pays les mieux placés. La France, avec un taux de 13 pour cent cette année-là est en position intermédiaire, mieux classée que le Luxembourg (voir encadré).Notons au passage que pour des raisons liées à la collecte et au traitement des informations, les chiffres publiés datent de deux ans et ne retracent pas l’évolution la plus récente. Ils sont d’autant plus préoccupants que l’on a de bonnes raisons de penser qu’ils se sont bien dégradés depuis.
En complément de ce que l’on appelle aujourd’hui la « pauvreté monétaire », Eurostat a calculé le nombre de personnes en situation de « privation matérielle » grave, ce qui signifie que leurs ressources sont telles qu’elles ne sont pas en mesure de régler leur loyer, leurs factures d’énergie ou de téléphone, de consommer de la viande ou du poisson, de s’acheter une voiture, une TV ou une machine à laver.
Dans l’UE, 42 millions de personnes (soit 8 pour cent de la population) étaient dans ce cas avec des proportions très variables parmi les États membres, les plus élevées se situant à nouveau en Bulgarie (41 pour cent) et en Roumanie (33 pour cent), et les plus faibles au Luxembourg, en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark et en Espagne (moins de trois pour cent chacun).
Enfin, l’organisme statistique européen a introduit le concept de « faible intensité de travail » qui s’applique quand une personne en âge de travailler n’a exploité au cours de l’année précédente que moins de vingt pour cent de son potentiel de travail. Cet indicateur est crucial dans la mesure où un travail à plein temps, surtout comme salarié, est la meilleure protection contre la pauvreté.
Dans l’UE, 34 millions de personnes étaient dans ce cas en 2008, soit neuf pour cent de la population concernée, avec ici un paysage assez différent et assez surprenant.
En effet, les plus fortes proportions de personnes vivant dans des ménages à très faible intensité de travail se situaient cette fois en Irlande (14 pour cent), en Hongrie, en Belgique et en Allemagne (douze pour cent chacun) et les plus faibles à Chypre (quatre pour cent) ainsi qu’au Luxembourg, en Slovaquie, dans les pays baltes et en Suède (environ cinq pour cent chacun).
Ces critères ne se recouvrent pas intégralement, de sorte que, heureusement, il n’y avait au total que sept millions de personnes (1,4 pour cent de la population) relevant des trois critères à la fois, avec un maximum en Bulgarie (quatre pour cent) et en Hongrie (trois pour cent), et un minimum au Luxembourg, en Suède, au Danemark, en Espagne et aux Pays-Bas (0,5 pour cent ou moins chacun).
En revanche, la prise en compte de deux critères en plus de la pauvreté monétaire conduit naturellement à augmenter le nombre de personnes concernées : 116 millions de personnes, soit presque le quart de la population de l’UE connaissent au moins une de ces trois formes d’exclusion sociale. Près de la moitié des Bulgares et des Roumains (respectivement 46,2 pour cent et 43,1 pour cent de la population) et plus tiers des Lettons (37,4 pour cent) sont touchés.
Même dans les pays les mieux lotis, tels que les Pays-Bas, la Suède et la République tchèque (14 à 16 pour cent) c’est encore une personne sur six ou sept qui est affectée.
Les chiffres pour 2009 marquaient plutôt une amélioration de la situation, avec une moyenne de l’UE passant de 23,6 à 23,1 pour cent, et deux tiers des pays affichant une baisse. Quant à ceux qui connaissaient une augmentation de leur taux (des pays aussi différents que l’Estonie, Malte, les pays scandinaves ou les Pays-Bas) elle était assez faible. Il est malheureusement à craindre que la situation économique et sociale en 2010 et en 2011 ne remette en cause cette évolution [-]favorable.
La stratégie Europe 2020 pour l’emploi et la croissance, qui a pris le relais de la stratégie de Lisbonne a, entre autres, pour objectif de réduire d’au moins 20 millions le nombre de personnes confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion. Il n’est pas très ambitieux, puisque cela ne représente guère qu’une personne sur six actuellement dans ce cas.