Après avoir mis en scène la saison dernière Savannah Bay, une des œuvres emblématiques de Marguerite Duras au Théâtre national, puis l’existence vaine et futile d’un chien de starlette dans la création Wonderful Deluxe au Grand Théâtre, Stephane Ghislain Roussel s’attaque cette fois à l’opéra et aux voix qui le font vivre. Le directeur artistique de la compagnie éponyme retraçait ainsi le 18 mars dernier au Kinneksbond de Mamer un itinéraire subjectif de l’opéra à travers les siècles et la relation impossible entre une soprano et un baryton dans La voce e mobile...
Pour ce parcours chaotique « à la manière d’un rêve éveillé », le metteur en scène belgo-luxembourgeois a choisi de faire interpréter les airs des compositeurs les plus célèbres de ces trois derniers siècles : Mozart, Wagner, Rossini, Verdi, Bizet, Ligeti... Tout le monde est là pour servir l’intrigue archétypique de l’opéra. En effet, si l’on prête à George Bernard Shaw la déclaration « Un opéra, c’est une histoire où un baryton fait tout pour empêcher un ténor de coucher avec une soprano » souvent criante de vérité, ici l’indomptable séducteur se fait absent et laisse le soin à Ricardo Rebelo Da Silva – le baryton – de tout faire pour remporter les faveurs de Julia Wischniewski – la soprano –, évidemment sans y parvenir. Tout au long de la dizaine de tableaux qui composent cette co-production du Kinneksbond, de la Compagnie Ghislain Roussel, de l’Orchestre de Chambre de Luxembourg et du Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan, les deux protagonistes de cette histoire d’amour impossible entourés de musiciens/vagues personnages secondaires se croiseront dans la liesse alcoolisée ou dans la peur, dans un délire onirico-classique ou dans un aéroport contemporain, sans jamais se trouver.
Pour cette nouvelle création, Stéphane Ghislain Roussel s’est entouré de talents habitués de la scène grand-ducale, dont Youness Anzane, auteur du livret de Wonderful Deluxe, et le comédien Denis Jousselin qui campe un Caronte observateur, juge et moqueur avec un humour et une désinvolture rafraichissante au milieu d’un maelström chanté qui peine malheureusement à trouver sa voie. Car si la promesse initiale et le casting sont prometteurs, La voce e mobile ne parvient pas vraiment à convaincre dans la réalisation et paraît terne et brouillon, ne réussissant à véhiculer que l’humour potache de certaines scènes...
Qu’ont voulu faire passer les créateurs de la pièce ? Si l’intention était de proposer une pièce populaire, dédiée à la vulgarisation des grands compositeurs, il eût été appréciable d’entendre plus les voix et les grands airs, en laissant le jeu théâtral en retrait. Si l’humour était un axe essentiel, la biture collective sans subtilité et les selfies d’une soprano qui recrache grossièrement un cracker à peine machouillé étaient-ils réellement nécessaires ? Et si le tout n’est qu’un rêve explosif, qui ne se soumet à aucune loi, pourquoi alors faire intervenir un membre du public pour une sérénade « latin lover » plus télévisuelle qu’opératique ? Enfin, alors que le spectateur peine déjà à s’y retrouver dans l’intention de ce divertissement décalé, la mise en décor ne fait que concourir à cette confusion, à grands coups de colonnes obstruantes, de piano à moitié caché et de frigo bahut laid au possible.
Reste les performances vocales tout à fait à la hauteur et l’énergie déployée sur scène qui font plaisir à entendre et à voir, les artistes semblent s’amuser sur scène et cette joie d’ensemble transpire à quelques occasions sur le spectateur. Le mystérieux Caronte, passeur des Enfers incarné par un Denis Jousselin en grande forme, procure également plusieurs moments cocasses grâce à quelque pitrerie. Autant de moments d’émoi plus qu’appréciables au cours de ces 70 minutes.