Un but sur onze tirs. Un résultat en somme plutôt médiocre. Le rapport Évaluation des performances et des politiques sur la mise en oeuvre de la Stratégie de l'OCDE pour l'emploi vient de confirmer que le Grand-Duché ne s'est guère plié aux recommandations de l'organisation internationale, tout au contraire. Jean-Claude Juncker ne devrait pas trop s'en plaindre. Lui qui n'a jamais caché qu'il est loin d'apprécier l'ensemble des conseils que l'OCDE adresse au Luxembourg. Sur onze recommandations formulées en 1994, une seule a ainsi été transposée de manière satisfaisante. Dans cinq cas il n'y a eu aucune action, dans un autre les mesures sont jugées insuffisantes. Dans quatre domaines l'Organisation pour la coopération et le développement économique estime que les initiatives du gouvernement sont même à l'opposé du but poursuivi.
Une semaine après un rapport peu flatteur de la Commission européenne, c'est donc au tour de l'OCDE, qui regroupe 29 pays industrialisés, de prendre la situation de l'emploi au Luxembourg sous la loupe. Et là où les autorités locales se retranchent derrière le taux de chômage le plus bas de l'Union européenne, les organisations internationales réussissent néanmoins sans grand mal à trouver les fissures dans la façade. Au sein de l'OCDE, le Luxembourg a de toute façon perdu sa place de premier de classe. L'Islande affiche un taux de chômage de 2,6 pour cent (alors qu'il y a trois ans il était encore de 5,4) contre 2,8 au Grand-Duché.
Les critiques ne sont cependant guère nouvelles. La situation du chômage officiel semble certes plus ou moins maîtrisée au Luxembourg. Du côté du taux d'activité toutefois, il n'en est rien. Ainsi, si seulement 2,8 pour cent des Luxembourgeois sont à la recherche d'un travail, ils ne sont que 60,5 pour cent de ceux en âge de travailler à occuper un emploi. Un chiffre d'autant plus bas que la règle selon laquelle un taux de chômage élevé et persistant contribue à réduire le taux d'emploi ne s'applique pas au Grand-Duché.
En premier lieu, un taux d'activité des travailleurs de plus de cinquante ans de seulement 38 pour cent - une baisse de plus de cinquante pour cent depuis les années 60 et un chiffre qui compte parmi les plus faibles de l'Union européenne - est en cause. Un deuxième élément est le nombre réduit de femmes exerçant un emploi. Un troisième élément, plutôt positif toutefois, est l'entrée plus tardive des jeunes sur le marché de l'emploi pour cause d'études plus longues. Seuls 37 pour cent des 15 à 24 ans occupaient l'année dernière un emploi contre 51 pour cent en 1990. Le taux de jeunes qui ne font ni travailler ni aller à école est cependant en hausse pour les hommes à quelque sept pour cent même s'il est en baisse chez les filles avec douze pour cent.
Dans sa dernière Étude économique consacrée au Grand-Duché, l'OCDE avait estimé le taux de chômage « au sens large » à treize pour cent de la population active. Cette définition des sans-emploi ne reprend pas seulement les chômeurs indemnisés mais aussi les personnes participant à des programmes actifs du marché de travail, les préretraités, les bénéficiaires d'une pension d'invalidité, etc. Si ce chiffre est élevé, le Luxembourg reste néanmoins aussi dans cette catégorie parmi les meilleurs de l'Union européenne.
Le faible taux d'activité des femmes est une caractéristique traditionnelle du Grand-Duché. Pays à traditions catholiques, les politiques actives en faveur de l'entrée dans la vie active des femmes se sont fait attendre longtemps. Le travail à temps partiel reste d'ailleurs toujours sous-développé dans la comparaison internationale. S'y ajoutent d'autres éléments comme l'absence de crèches, qui ne sont mises en place que peu à peu. Les salaires relativement élevés payés au Luxembourg permettent en même temps, et plus souvent qu'ailleurs, aux femmes de choisir entre rester au foyer ou non.
Le taux d'activité très bas des plus de cinquante ans est quant à lui fait maison. Comme dans d'autres pays, la préretraite a été perçue comme un moyen idéal pour éviter un massacre social lors de la crise de la sidérurgie. L'OCDE estime aujourd'hui que « la baisse des taux d'activité des travailleurs âgés de sexe masculin a sans doute contribué dans certains cas à réduire les tensions à court terme sur le marché du travail dans les pays à chômage élevé ». Les experts parisiens se montrent cependant beaucoup moins convaincus à moyen et long terme. « Cette contraction [de la population active] pourrait, selon eux, engendrer dans un proche avenir une sérieuse pénurie de main-d'oeuvre dans de nombreux pays. »
Au Luxembourg, cette situation est en fait déjà une réalité. Pas moins de 75 pour cent des nouveaux emplois créés au Luxembourg sont occupés par des frontaliers. Une situation qui n'a toutefois rien d'exceptionnel quand on considère le Luxembourg et notamment sa capitale comme moteur économique d'une région plus large que ses frontières. Il n'en est pas moins que les frontaliers viennent d'un côté de plus en plus loin pour travailler
au Luxembourg alors que les entreprises luxembourgeoises recourent en même temps aux mécanismes de préretraite. Le dernier exemple en date est l'Arbed qui, en vue de réduire ses effectifs mais aussi afin de les rajeunir, vient de demander au gouvernement une extension du mécanisme permettant aux salariés de partir en retraite à l'âge de 57 ans pour les classes d'âge allant jusqu'à 1947.
Selon l'OCDE, le Luxembourg compte cependant déjà parmi ces pays dans lesquels « il est financièrement intéressant [pour un salarié] de sortir du marché de travail avant l'âge officiel de la retraite ». L'organisation parisienne estime ainsi que les dix années de travail supplémentaires entre l'âge de 55 et 65 ans sont ponctionnées d'un impôt implicite de 29 pour cent. Ce chiffre est notamment obtenu en mettant en relation d'un côté les contributions au système de sécurité sociale et de l'autre les bénéfices que l'assurer peut espérer d'en tirer.
La relation entre préretraites et embauche de jeunes n'est bien sûr pas directe. Un ouvrier de sidérurgie n'est pas le candidat idéal pour un poste de comptable OPC dans une banque. On rencontre le retrait anticipé de la vie active - le Luxembourg compterait selon la Commission européenne 1 400 préretraités et quinze mille bénéficiaires d'une retraite d'invalidité - en premier lieu dans des secteurs à faible croissance, chez des travailleurs à faible niveau d'instruction qui, en plus, ont eu moins de chance de bénéficier d'une formation continue. Ce qui sont d'ailleurs la plus part du temps les mêmes.
Ne s'agit-il alors que de vestiges d'une autre époque, avant l'introduction de la formation continue et du life long learning ? On est en droit d'en douter. La formation continue, sans même parler du concept plus large de la formation tout au long de la vie, ne touche toujours qu'une petite partie de la population active. S'y ajoute que les compétences enseignées restent trop ponctuelles, répondant à des besoins immédiats mais éphémères.
Les salariés avec une bonne formation de base sont aujourd'hui toujours plus nombreux à reconnaître la nécessité de participer régulièrement à des formations. C'est d'ailleurs aussi le domaine le plus propice aux compromis satisfaisant à la fois syndicats et employeurs dans les négociations collectives.
Une constante reste toutefois : on ne donne qu'aux riches. Moins le niveau de formation initiale est élevé, plus réduites sont les chances de participer à une formation continue. Le meilleur exemple vient d'ailleurs du secteur bancaire, pourtant très actif dans le domaine de la formation. L'ABBL a ainsi strictement refusée la demande syndicale de rendre obligatoires les cours de formation pour les employés des grades les moins élevés. Si ces derniers n'ont pas la prévoyance nécessaire d'y participer volontairement, on risque de préparer la prochaine génération de préretraités. Sans qu'il ne soit sûr s'il y aura alors toujours suffisamment de jeunes bien formés dans la Grande Région pour prendre leur place.