Heureux Luxembourg. Alors que le Service central de la statistique et des études économiques (Statec) avait annoncé, en un premier temps, une hausse réelle du produit intérieur brut (PIB) de trois à 3,5 pour cent, les chiffres disponibles pour les six premiers mois de 1999 ont amené les experts à revoir leur prévision à la hausse. La hausse réelle du PIB devrait, en cette dernière année du millénaire, augmenter de quatre à 4,5 pour cent.
L'environnement conjoncturel international a favorisé ce développement, et les prévisions en ce qui concerne l'Europe tablent même sur une accélération de la croissance pour le deuxième semestre 1999, ce qui, pour le Luxembourg, provoquera des retombées positives sur les secteurs quelque peu grippés en début d'année comme l'industrie et, par conséquent, le commerce du gros.
Le moteur principal de cette évolution positive au Luxembourg sont les services marchands - services financiers et commerce exclus - qui ont fait preuve d'un « dynamisme pratiquement sans faille ». Selon les indications du Statec pour la première moitié 1999, le chiffre d'affaires pour ce secteur, qui
englobe les secteurs du transport, du tourisme, des communications, de l'audiovisuel et des services aux entreprises (consulting, expertises, nettoyage, restauration de collectivités, surveillance...), a progressé de 22 pour cent entre janvier et juin 1999, après une hausse déjà conséquente de treize pour cent en 1998. La progression du secteur financier est plus modérée (0,9 pour cent) après l'année record précédente, tandis que l'industrie est timidement en train de remonter la pente après avoir atteint son point bas en début d'année. La très lente amélioration dans le secteur de l'industrie a entraîné une stagnation des résultats du commerce, due à un recul du commerce de gros. En ce qui concerne la construction, notamment à cause du reflux dans le génie civil, la progression n'a été que modérée.
Globalement, les perspectives économiques du Grand-Duché seraient donc excellentes, malgré quelques faiblesses localisées. Une prévision qui est d'autant plus réjouissante si l'on considère un taux d'inflation constant de 0,6 pour cent et un taux de chômage en net recul face à un marché de l'emploi qui ne cesse de croître.
En intégrant pour la première fois la période de soldes du début de l'année, le calcul du taux d'inflation se trouve toutefois quelque peu frisé et réussit ainsi assez bien à cacher une tendance à la hausse qui est surtout due aux augmentations consécutives des prix de carburants en cette première période de 1999.
Quant au marché de l'emploi, les indicateurs sont a priori positifs. Quelque 10 000 personnes se sont ajoutées au total des occupations salariées au Luxembourg l'année dernière, une hausse de 4,6 pour cent - 236 400 personnes sont actuellement occupées au Luxembourg. En conséquence, le Statec note une régression du chômage qui s'établit à 3,1 pour cent si on tient compte de la nouvelle méthode de calcul de l'Administration de l'emploi (Adem) selon les critères du Bureau international du travail (BIT), c'est-à-dire en « éliminant » des statistiques la mise au travail et les mesures de formation. Cette tendance s'est poursuivie en ce début d'année, où après les cinq premiers mois, le taux de chômage a régressé à 2,8 pour cent.
En intégrant dans les statistiques les personnes bénéficiant d'une mesure de mise au travail ou de formation, le taux de chômage croît cependant de un pour cent. Si d'un côté, l'impact de ces mesures peut ainsi être évalué de façon positive, il n'en reste pas moins que les personnes bénéficiant de ces mesures restent pour la plupart dans une situation atypique. Ces mesures ne sont souvent que temporaires (emploi de remplacement, stages de réorientation ou de perfectionnement, contrats à durée déterminée) et ne correspondent pas toujours aux aspirations professionnelles ou économiques des « mis en mesure », qui restent ainsi demandeur d'emploi au sens large du terme.
Les mesures pour l'emploi, qui sont facilement applicables aux jeunes sans emploi à la sortie de l'école, ont surtout fait reculer le chômage chez les jeunes de moins de 25 ans.
Mais la ventilation du taux de chômage amène d'autres conclusions, plus négatives. Ainsi, l'accès au marché du travail est plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Si leur représentation dans l'emploi (résident) s'établit à 38 pour cent en 1998, leur part dans le chômage total atteint 47 pour cent et se trouve en hausse constante (44 pour cent en 1997). Le taux de chômage féminin est le double du taux masculin (4,4 pour cent par rapport à deux pour cent ; en ce qui concerne le taux de chômage des femmes étrangères, il s'élève même à 6,2 pour cent). Le nombre de chômeurs inscrits qui ont quitté leur emploi en raison d'une « responsabilité familiale » stagne depuis longtemps autour de dix pour cent. Les femmes sont largement sur-représentées dans cette catégorie.
Le chômage féminin est une résultante de la structure sociale luxembourgeoise. L'inégalité entre les sexes en ce qui concerne l'emploi est des plus importantes en Europe. L'évolution du congé parental, introduit en début d'année, et surtout ses conséquences, pourrait cependant légèrement changer ces données.
L'accès au marché du travail ne varie pas seulement par rapport au sexe, mais aussi selon la nationalité. Les
« résidents étrangers » sont deux fois plus présents dans les statistiques que les ressortissants luxembourgeois (4,1 pour cent par rapport à 2,1 pour cent), la communauté portugaise étant la plus touchée.
Si la croissance démographique croît au Luxembourg, cela est dû en première ligne au flux migratoire. En 1998, le nombre de résidents a augmenté de 1,3 pour cent alors que la natalité (positif pour les résidents étrangers) a régressé pour s'établir à moins 2,1 pour cent. C'est donc un important taux d'immigration, il était de 9,6 pour mille l'année dernière, qui est responsable de la croissance de la population. Cette nouvelle immigration est en première ligne une immigration jeune, plus de la moitié des nouveaux résidents sont âgés entre vingt et 34 ans, tandis que la population autochtone est une population vieillissante.
La population immigrée représente près de 28 pour cent de l'emploi total au Luxembourg, avec une tendance à la hausse. Le marché de l'emploi toujours en croissance au Luxembourg a besoin de main d'oeuvre que les nationaux peuvent de moins en moins garantir. Ainsi, les Luxembourgeois ne représentent plus que quarante pour cent de l'emploi salarié. Près de 32 pour cent de l'emploi salarié sont assuré par des frontaliers. L'économie luxembourgeoise est donc dépendante, à un degré vital, de la main d'oeuvre étrangère.
Une approche politique différente envers la population étrangère semble dès lors s'imposer. Avec un taux d'immigration dépassant actuellement les 35 pour cent, la communauté étrangère est un facteur clef du développement socio-économique du Grand-Duché. Mais sa participation active aux prises de décision n'est que relative - droit de vote accordé aux ressortissants communautaires pour les élections communales et européennes -, tandis que les structures sociales, telles que l'éducation ou encore le monde associatif ne s'ouvrent que très lentement. Impliquer davantage la population étrangère résidente dans les processus décisionnels sera, à terme, une nécessité - si ce n'est déjà une - si le Luxembourg ne veut pas compromettre son équilibre social et son développement économique.
Invoquer le réflexe national pour ne pas tenir compte de cette nécessité est aléatoire. Car, si l'économie luxembourgeoise repose sur une main
d'oeuvre majoritairement étrangère, les capitaux de cette économie - et donc la prise de décision - ne sont pas luxembourgeois pour autant. La plupart des capitaux investis au Luxembourg sont - et restent, comme le confirme l'étude du Statec sur les investissements directs étrangers (IDE) du et au Luxembourg - d'origine étrangère. La place financière concentre sur elle seule presque les deux tiers des IDE qui atteignent en 1996 18,375 milliards de dollars US. Ce qui correspond, par tête d'habitant, à plus de 44 000 de dollars, résultat avec lequel le Luxembourg se trouve largement en tête du classement des pays industrialisés. Les Pays-Bas, arrivant en deuxième position, totalisent un IDE par tête d'habitant d'un peu plus de
7 000 dollars. En ôtant la part banque, l'écart avec les autres pays diminue certes, mais reste quand même assez important (13 190 dollars par tête d'habitant). Le Luxembourg possède donc l'économie la plus ouverte aux, et donc aussi la plus dépendante de capitaux étrangers et ce non seulement en ce qui concerne la place financière.
Données extraites de la Note de conjoncture
n° 2/99 édité par le Statec au prix de 175 francs et du Bulletin n°3/99 du Statec (150 francs)