Les banques allemandes du plateau du Kirchberg, les usines américaines de Colmar-Berg ou encore les compagnies d'assurance belges au centre-ville: les entreprises étrangères sont omniprésentes au Luxembourg. La nouvelle filiale bancaire ou la dernière multinationale à s'établir dans une zone industrielle sont qualifiées par les économistes d'investissements directs étrangers (IDE). Un domaine dans lequel le Luxembourg détient - comme pour le produit intérieur brut (PIB) par habitant, et la relation entre les deux est directe - un record. En 1996, les IDE au Luxembourg représentaient ainsi 44 212 dollars par tête d'habitant. Hors banques, le chiffre s'élève toujours à 13 190 dollars. Ce qui reste loin des 7 642 dollars qu'affichent les Pays-Bas, la deuxième économie la plus ouverte aux investissements étrangers.
En dépit de cette ouverture du Luxembourg aux capitaux étrangers - en 1997 les IDE représentaient en tout 626 milliards de francs -, il a fallu attendre le milieu des années 90 pour que le phénomène fasse finalement l'objet d'enquêtes réalisées par le Statec*, l'office statistique du gouvernement.
Les premiers investisseurs au Luxembourg sont, en s'en doutait, les banques. Ils représentent ainsi pas moins de 413 milliards de francs investis ou deux tiers du total. Une proportion qui s'explique surtout par les importants fonds propres dont doivent disposer les établissements de crédit. En ce qui concerne la relation entre capital apporté et nombre d'emplois créés, les banques affichent toutefois un chiffre moins impressionnant que, par exemple, l'industrie avec ses 103 milliards de francs investis.
Au Luxembourg, les IDE signent responsables pour la création de pas moins de 48 000 emplois dans 587 entreprises. Les employeurs étrangers dominent en premier lieu dans la finance avec 17 000 salariés ou 85 pour cent du total du secteur. Dans l'industrie (hors construction) ils sont 21 500 personnes à travailler pour des multinationales étrangères, soit soixante pour cent du total du secteur. Les exportations du Grand-Duché reposent de même à deux tiers sur les industries à capital étranger.
La création d'une banque exige donc dans un premier temps le virement de sommes plus importantes vers le Luxembourg. Le prix à payer pour le Grand-Duché se retrouve cependant du côté de la redistribution des bénéfices réalisés par ces filiales. Les établissements financiers versaient ainsi en 1997, sous formes de dividendes, en moyenne quelque 70 pour cent de leurs bénéfices à leurs maisons mères. Les entreprises des autres secteurs se contentaient pour leur part d'un tiers du bénéfice sous forme de dividendes, permettant à leurs succursales de réinvestir le solde.
En ce qui concerne l'origine des investissements directs, le Luxembourg confirme la tendance mondiale selon laquelle les IDE profitent en premier lieu aux pays de la triade États-Unis, Europe, Japon. Seulement 1,1 pour cent proviennent ainsi d'autres pays. Le secteur bancaire constitue une exception avec quatre pour cent. Dans ce même secteur, l'Allemagne représentait en 1997 50,5 pour cent du total des IDE contre 48,1 pour cent deux ans plus tôt. Dans le non-financier, ce sont par contre les États-Unis qui occupent avec 34 pour cent du total des investissements directs la première place. Une trentaine d'entreprises au Luxembourg sont ainsi d'origine américaine. Il s'agit la plupart du temps de filiales à cent pour cent de grandes multinationales.
Le Grand-Duché est toutefois aussi présent de l'autre côté de la table dans le jeu mondial des investissements directs. Plus d'une centaine d'entreprises luxembourgeoises détiennent ainsi des participations (dépassant les dix pour cent du capital social) dans quelque 350 sociétés établies à l'étranger pour un total de 176,5 milliards de francs. Force est toutefois de constater que la quasi-totalité des investisseurs luxembourgeois dépendent de leur côté à nouveau de maisons mères allogènes. Seulement cinq sociétés luxembourgeoises sans dépendance de l'étranger -- toutes hors du secteur financier - sont ainsi concernées, avec des investissements qui ne dépassent toutefois pas le milliard de francs.
Si les banques domiciliées au Luxembourg élargissent de plus en plus souvent leurs activités vers l'étranger, c'est néanmoins toujours l'industrie qui se taille la part du lion dans les IDE, aussi bien en nombre d'entreprises qu'en capitaux engagés. Les acteurs principaux sont deux secteurs traditionnels du Grand-Duché : la télédiffusion et la sidérurgie. Cette dernière permet ainsi, grâce à ses activités en Amérique latine, de hisser le Brésil au quatrième rang des pays profitant d'IDE en provenance du Luxembourg avec dix pour cent du total. La participation de l'Arbed dans Aceralia s'y retrouve de même, puisque l'Espagne (12,6 pour cent) occupe la troisième position. Aux deux premières places on retrouve des pays limitrophes avec l'Allemagne (16,2 pour cent) et la Belgique (25,6 pour cent). La huitième place de la France (2,6 pour cent), derrière la Suisse, l'Irlande et le Royaume-Uni, peut surprendre davantage.
Les performances record du Luxembourg en matière d'investissements directs étrangers illustrent que les seuls salaires payés ne sont qu'un facteur parmi nombre d'autres dans le choix d'une société pour ses investissements. Pour le Grand-Duché ces chiffres soulignent aussi de manière exemplaire la dépendance de l'économie du pays vis-à-vis de décisions qui se prennent ailleurs. La quasi totalité des entreprises étrangères sont ainsi des filiales directes de multinationales. Leurs autonomie et marge de manoeuvre sont par conséquent des plus réduites. Ils n'est dès lors guère surprenant de devoir constater de plus en plus souvent que la politique économique et fiscale des gouvernements luxembourgeois se limite souvent à une simple gestion de la compétitivité du pays et donc de son attractivité pour les investisseurs étrangers.
* Les résultats de l'enquête sont repris dans le Bulletin du Statec n° 3/1999, disponible au prix de 150 francs auprès du Statec