La deuxième exposition du photographe autrichien Alfred Seiland, dont il réserve la primeur au Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA) après Imperium Romanum en 2014, porte une nouvelle fois sur une civilisation. Il donne à voir, à travers un voyage photographique qu’il a entrepris à partir de 2017, la Perse antique et l’Iran moderne.
L’exposition ouvre sur une jeune femme, vêtue de rose, entourée du halo de lumière de la Mosquée Rose, élevée à la fin du 19e siècle à Chiraz, dans un style mêlant éléments orientaux et occidentaux. Iran between times d’Alfred Seiland nous invite, selon le communiqué de presse du MNHA « à porter un regard critique sur la façon dont les médias occidentaux représentent l’ancien empire perse, une image souvent lourde de préjugés et de stéréotypes… Il nous incite à réfléchir sur les enjeux auxquels fait face la société iranienne d’aujourd’hui. »
De quels stéréotypes parle-t-on ? Poétique ? Difficile de ne pas avoir en tête les contes des Mille et une Nuits et les miniatures persanes. La jeune femme fait penser à Shéhérazade. Politique ? On connaît la peur de l’Occident et les embargos successifs sur les armes à cause du développement de la technologie nucléaire à des fins militaires. Alfred Seiland n’a évidemment pas pu s’approcher des sites. Religieux ? Le chiisme est minoritaire dans le monde musulman à majorité sunnite d’aujourd’hui. On voit, dans la cour d’une mosquée, comme une timide invitation au dialogue sous une tente de fortune et des bancs en plastique.
Faut-il pour autant être expert de ces questions pour visiter L’Iran entre deux ères (le titre en français de l’exposition) d’autant plus que l’Iran moderne est devenu quasi inaccessible aux étrangers que nous sommes. L’exposition est l’occasion de voir le lien entre la Perse antique et l’Iran moderne, dans lequel donc, Alfred Seiland veut croire en un possible futur pour le peuple iranien.
Le photographe développe sa thèse à travers des très grands formats analogiques, qui nécessitent un matériel de prise de vue lourd et un temps d’exposition long. Les sujets de ces photographies ont donc été soigneusement choisis et il s’agit, la plupart du temps, de vues de sites à connotation historique, comme celui de la citadelle de Rayen, capitale des Sassanides, que l’on peut placer entre la Persepolis du mythique roi Darius qui vécut 400 ans avant notre ère. et – dernier grand format que nous citerons pour faire la synthèse de plus de deux mille ans d’histoire –, la vue de Téhéran, depuis le haut de la tour Milad, construite par Mohammad Reza Pahlavi, le Chah chassé par le retour de l’Ayatollah Khomeini en 1979.
Suivent des ensembles de moyen formats, la plupart du temps disposés en carré par quatre ou alignés en séries également de quatre. Ces photographies prises en numérique, sont plus spontanées, même si on citera encore deux photos à visée politique, de l’ancienne ambassade US à Téhéran, où les diplomates furent retenus en otages 444 jours entre 1979 et 1981. C’était le début des tensions entre l’Iran et l’Occident. On visite les lieux aujourd’hui comme un musée « à l’arrêt de bus Ancienne ambassade des États-Unis ».
À regarder ces soixante clichés, se mêle surtout une émotion qui donne envie de connaître les Iraniens contemporains. Ils ont posé pour Alfred Seiland : une famille, la petite fille sur le trampoline de l’école, les femmes chez le chocolatier, le jeune marchand de fleurs et l’employé d’hôtel. Ils sont dans leur vie au quotidien, celle des échoppes, d’une boutique de bord d’autoroute. Un chauffeur de camion dort sous le poster d’une pin-up, le soldat à l’arrêt d’autobus est écrasé de chaleur et par l’omniprésence des grands panneaux politiques qui rouillent et s’effritent, comme ce navire qui fait partie du décor de la promenade de villégiature en bordure du Golfe d’Ormuz. Quel est l’avenir de cet Iran entre deux ères ? De ces bourgades dans des paysages désertiques ? Alfred Seiland a photographié les lignes à haute tension civiles qui leur apportent l’électricité.
Il y a un seul diptyque dans l’exposition. Il s’agit des fondements de la ziggourat de la mythique Ur (située dans l’actuel Irak), qui serait la ville d’origine du patriarche Abraham, commun aux trois religions monothéistes… Mais l’humanisme et le regard bienveillant peuvent-ils tout ? Hasard du calendrier, à Vienne, capitale du pays d’origine du photographe, reprennent les négociations sur la production iranienne du nucléaire enrichi.