Claude Wiseler, Marc Spautz et Laurent Zeimet voulaient représenter la stabilité du CSV, afin de signifier que son retour au pouvoir s’imposait. Or, les élections prouvent que cette époque est révolue

Tropismes

d'Lëtzebuerger Land du 19.10.2018

Abattus, sidérés ou furieux, les réactions des militants du CSV, dimanche soir dans la Rotonde 1 à Bonnevoie et, plus tard au Kirchberg, dans la tente de RTL érigée pour la couverture de ces élections législatives du 14 octobre, divergeaient. L’onde de choc s’est fait ressentir dès le début de la soirée, lorsque très peu de militants s’agglutinaient sur le parvis des Rotondes, dans la grande salle avec écran géant ou le long du buffet généreux dans la salle extérieure. Les membres du parti, candidats, anciens mandataires ou simples militants, avaient les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone et n’en revenaient pas. Leur perplexité avait une raison : jusqu’à la fin de la campagne, tout le monde, y compris l’adversaire politique (et oui, aussi la presse), était persuadé que selon les lois de la nature, cet épisode dans le cours normal des choses que fut le gouvernement Bettel/Schneider/Braz n’était qu’une parenthèse pour avouer qu’effectivement, Jean-Claude Juncker avait mal géré les choses dans l’affaire des écoutes téléphonique illégales du Srel, qu’il fallait donc faire sa pénitence de Canossa devant les électeurs – mais qu’après cela, cette parenthèse allait se fermer et tout redeviendrait comme avant. Soit que le CSV serait le parti dominant, qu’il serait même plébiscité, comme l’avaient prédit les sondages d’opinion depuis des années, atteignant presque la majorité absolue par moments, et que donc Claude Wiseler, son candidat tête de liste, deviendrait tout naturellement Premier ministre et pourrait choisir son allié à sa guise (et un peu selon les résultats), CSV-DP et CSV-Verts paraissant comme les options les plus probables.

Vieillissement structurel Mais patatras ! L’électorat « de l’abondance économique » (selon le politologue Philippe Poirier) en a décidé autrement. Certes, le CSV reste le plus grand parti, avec 28,31 pour cent des suffrages et 21 sièges – mais il perd plus de cinq points de pour cent par rapport au déjà assez mauvais score de 2013 et surtout, passe sous la barre symbolique des trente pour cent. Face à un rétrécissement de la base électorale (de moins en moins de résidents ont le droit de vote) et à l’éclatement du paysage politique au profit des petits partis qui répondent à des revendications ponctuelles, le CSV a omis de se remettre en question. Il n’a pas pris les devants, n’a pas senti l’air du temps et la fragmentation de l’électorat, ne s’est ni modernisé, ni rajeuni. Or, il s’avère que la génération de Claude Wiseler, du président Marc Spautz et du secrétaire général Laurent Zeimet n’est pas celle du renouveau comme le furent leurs aînés de la « génération Breedewee » (selon une photo de 1984 montrant l’équipe du CSJ avec Jean-Claude Juncker, à trente ans, Marie-Josée Jacobs ou Viviane Reding, remontant dynamiquement cette rue emblématique de la Vieille Ville, à l’assaut du pouvoir). « Ce sont toujours les mêmes qui décident de tout dans ce parti », s’énervait un militant dimanche soir, regrettant une campagne extrêmement personnalisée et uniquement centrée sur la communication autour de Claude Wiseler, sans véritable implication de la base du parti – pourtant fort de 10 000 membres, qui seraient autant de multiplicateurs. Pour preuve de ce manque de lien : une lettre quémandant des dons pour le financement de la campagne qui ne serait arrivée que mercredi dernier.

Toutefois, le problème des contestataires du pouvoir en place, ceux du Dräikinneksgrupp (les Pierre Lorang, Serge Wilmes et consorts) ou ceux du Cercle Joseph Bech (autour de l’eurodéputé Frank Engel), deux think tanks internes, plus à gauche pour le premier et plus à droite pour le second, ont eux aussi pris des rides et sont désormais des quadragénaires établis dans leurs fonctions politiques ou professionnelles. Pour rappel : Jean-Claude Juncker avait 28 ans quand il est entré au gouvernement, comme secrétaire d’État au Travail et à la Sécurité sociale, par la grâce de Jacques Santer.

Calife(s) à la place du calife La vaisselle n’était pas encore faite lundi matin que des gens comme le rising star de la Ville de Luxembourg, Serge Wilmes, premier échevin depuis l’année dernière, se disaient déjà prêts à « assumer des responsabilités » au sein du parti. Wilmes lui-même a 36 ans – à cet âge-là, le Christ était déjà mort. Cela fait vingt ans, depuis qu’il est entré au CSV à l’âge de 17 ans, que Wilmes affiche ses ambitions, d’abord comme président de la section des jeunes CSJ, puis en se présentant à chaque occasion pour les mandats internes du parti – sans succès jusqu’aux élections communales de 2017, où il a tout misé sur un rajeunissement de la section. Et il a gagné, fêtant un gain de presque six points de pour cent, soit deux sièges, et le retour au pouvoir de son parti. Il a aussi progressé dans les urnes dimanche, de presque 2 000 voix, à 20 809, se classant désormais deuxième derrière Claude Wiseler (27 388 voix). Ce qui le fit se prononcer comme candidat à la présidence du parti. Même phénomène de popularité locale à Esch-sur-Alzette, où le toujours récent (mais plus si jeune : il a 43 ans) maire Georges Mischo a progressé de façon spectaculaire, du parfait inconnu qu’il fut encore en 2013 (avant-dernier de sa liste), il saute en troisième position (plus 7 700 voix, à 25 388), dépassant ainsi, et de loin, Laurent Zeimet, le maire de Bettembourg qui rate tout juste sa réélection au parlement. Mischo, toutefois, n’a pas encore émis de revendication personnelle. Au Nord, la très dynamique Martine Hansen (53 ans, mais seulement députée depuis une législature, durant laquelle elle a posé plus de 300 (!) questions parlementaires, contre une petite trentaine pour Wiseler), s’est classée largement en tête, tous partis confondus, avec plus de 20 000 voix (devant Romain Schneider, LSAP, 12 331, Marco Schanck, CSV, 14 096 ou Claude Turmes, Déi Gréng, 11 243). Dès lundi, elle fut évoquée comme future présidente du groupe parlementaire – au cas où Claude Wiseler se retirerait pour assumer la responsabilité de l’échec de sa campagne comme ce fut évoqué.

Or, mardi soir, le Conseil national élargi du parti réuni à Belair a freiné la purge et calmé les ardeurs des uns et des autres : d’abord on regarde ce qui se passe lors des négociations de coalition entre DP, LSAP et Verts pour un gouvernement Gambia II, sait-on jamais, peut-être qu’ils vont échouer et auront alors besoin de ce « partenaire responsable » que le CSV veut toujours incarner. Les changements personnels, disent les anciens du conseil national, pourront attendre le prochain congrès du parti, qui aura lieu en janvier. Or, ce qui est vu par beaucoup de commentateurs comme un geste de désespoir – qui croit réellement que les Bettel, Schneider, Braz ne seront pas prêts à faire toutes les concessions, même les plus douloureuses, pour rester au pouvoir ? –, peut aussi être l’expression d’une nouvelle perplexité. Peut-être que le CSV ne sait vraiment plus quoi faire, comment rajeunir et s’adapter à cette nouvelle époque ?

Désorientation idéologique Les résultats aux élections sont effectivement difficiles à interpréter : où sont, par exemple, passées les 56 000 voix recueillies par Jean-Claude Juncker en 2013 ? Elles ne se sont pas reportées sur Marc Spautz, le président du parti, qui reste stable, à 600 voix près, en première place des élus CSV au sud, devant Felix Eischen, Georges Mischo donc, puis les traditionnels Michel Wolter, Jean-Marie Halsdorf, Gilles Roth ou Nancy Kemp-Arendt – anciens matadors dont les résultats ne bougent que peu. Sur le plan national, le CSV a perdu aussi bien en suffrages de liste qu’en suffrages nominatifs. À l’Est. Françoise Hetto, Octavie Modert et Léon Gloden perdent des milliers de voix, alors qu’au centre, le retour de la très médiatique (et très ancienne : elle a 67 ans et fut élue députée pour la première fois il y a presque quarante ans) Viviane Reding n’a pas eu l’effet escompté : elle se classe quatrième, derrière Diane Adehm, mais devant Marc Lies. Le mauvais score de Laurent Mosar, sixième (et moins 4 200 voix) est aussi surprenant que le bon score de Paul Galles, curé défroqué hyperactif et nouvellement élu au conseil communal de la capitale. Elisabeth Margue, présidente du CSJ, le talonne, mais rate l’entrée au parlement.

Impossible de lire un message clair des électeurs dans ces résultats mitigés : ils semblent approuver les jeunes, pour autant qu’ils sont très à droite, comme Paul Galles, qui milite avec sa foi sur les réseaux sociaux et ailleurs, ou localement impliqués, comme Wilmes et Mischo. Et ils n’acclament plus les anciens. Car si on ne peut effectivement pas dire que Wiseler a totalement échoué, il fut, par son caractère consensuel, son pire ennemi. Il lui manque la verve et l’enthousiasme pour tracer une politique de droite, et peut-être aussi plus traditionaliste, claire et engagée. En se montrant aussi libéral que le DP (sur les questions sociétales et économiques), aussi proche des petites gens que le LSAP (en proposant des adaptations fiscales) et moins conservateur que les écologistes (protecteurs de la nature et du patrimoine), le CSV a perdu son profil. Et avec lui son électorat. Qui, par conséquent, se promène à gauche et à droite.

josée hansen
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