« Un État social fort a besoin de son économie pour fonctionner. » C’est la ministre de la Santé, Paulette Lenert (LSAP), qui résuma si simplement cette évidence qui conditionne l’approche du gouvernement pour la deuxième phase du déconfinement lundi soir, lors d’une conférence de presse au Kirchberg. Une centaine de personnes sont mortes du Covid-19 au Luxembourg, « un lourd tribut » selon Lenert, demandé par une maladie impitoyable, qu’on ne connaît toujours que trop peu. Mais le système de santé luxembourgeois, pris au dépourvu début mars comme ceux de presque tous les pays européens, a réagi vite, a augmenté ses capacités en lits, en équipements, en personnels pour y faire face. Jeudi dernier encore, la ministre a visité, avec le Premier ministre, le Centre de soins avancés à la Rockhal et le Chem à Esch-sur-Alzette, où ils ont aussi pu se rendre compte de l’engagement des bénévoles (« le volontariat dans notre pays est incroyable », dit-elle). Depuis le début des tests au Luxembourg, quelque 3 800 personnes ont été testées positives au coronavirus ; il n’y en a plus qu’une douzaine par jour en ce moment, contre 263 au pic de la crise, le 26 mars. Ce lundi, 23 malades étaient encore en soins intensifs, qui sont des soins longs demandant beaucoup d’assistance de personnels (intubation, nécessité de retourner le corps à rythme régulier pour dégager les poumons) ; le système de santé peut bien fonctionner avec trente ou quarante de tels patients, expliqua la ministre, et pourrait monter jusqu’à 90 places maximum. Donc il est temps de refaire l’équation entre santé, vie sociale et économie, entre coût humain et économique de cette crise.
Calamité Depuis lundi, les chiffres sur les conséquences économiques tombent à rythme soutenu, le gouvernement a fait des adaptations au règlement grand-ducal sur l’état de crise en deux réunions consécutives (lundi et mercredi), communique avec la Commission européenne, avec la Chambre des députés et avec le grand public, via conférences de presse et campagne de sensibilisation. Les grandes lignes sont là, au ministère de l’Économie, au Statec, dans les Programme de stabilité et de croissance du grand-duché et le Plan national de réforme envoyés à Bruxelles dans le cadre du semestre européen et présentés par le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) et son confrère à l’Économie Franz Fayot (LSAP) au Parlement mardi. Selon le Statec, les mesures de confinement auront « de graves conséquences sur l’économie » : moins six pour cent du PIB cette année, si on déconfine maintenant ; jusqu’à moins douze pour cent si une ou plusieurs nouvelles vagues d’infection nécessitaient de nouvelles mesures de lockdown dans les prochaines semaines.
Le « stay safe » vaut donc non seulement pour préserver sa propre santé, mais aussi celle de l’économie nationale. Dans le cas d’un déconfinement réussi et d’un effet durable des mesures sanitaires pour éviter de nouvelles infections de masse – car il faudra désormais vivre avec la présence de ce virus, jusqu’à ce qu’un vaccin, ou du moins un médicament soient élaborés, soit encore un an au moins –, le Statec prévoit un rebond de jusqu’à sept pour cent du PIB en 2021. Ce qui équivaudrait à une croissance zéro sur deux ans. Le paquet des aides pour l’économie coûtera 10,4 milliards d’euros ou 17,5 pour cent du PIB, ce qui fit dire à Gramegna que « le Luxembourg est un des pays européens qui fait le plus d’efforts de ce côté-là ». Mais, souligna Fayot, cette « calamité » ne frappe pas tout le monde de la même manière, « un ouvrier en maçonnerie qui ne pouvait pas télétravailler » n’ayant touché que 80 pour cent de son salaire durant une période en chômage partiel, alors que « le banquier a continué à toucher cent pour cent de son salaire ». Selon les chiffres du ministère de l’Économie publiés mardi, 15 084 entreprises ont été admises en huit semaines au chômage partiel, pour 267 097 salaires et un montant de presque 600 millions d’euros. Refaire travailler les plus de gens possible permet aussi de décharger ce poste budgétaire de l’État.
Cohortes Comme la reprise dans le secteur de la construction, 63 000 ouvriers, le 20 avril, n’a pas entraîné de nouvelle grande vague d’infection en quinze jours d’incubation – 2,2 pour cent des 180 personnes testées dans un échantillon jugé représentatif étaient positives (p.6) –, et comme la rentrée des lycéens de terminale (p.2-3) et la reprise des activités normales des médecins et des hôpitaux ce lundi se sont passées sans anicroches majeures, la « nouvelle normalité » de la phase deux de la maladie sera instaurée dès lundi 11 mai. Décrite dans une adaptation, adoptée ce mercredi 6 mai, du règlement grand-ducal du 18 mars (instaurant l’état de crise), la « levée du principe du confinement général » (Bettel) se passera ainsi : chaque ménage privé pourra recevoir chez lui jusqu’au maximum six personnes qui ne font pas partie de ce ménage, pour des rencontres entre amis, voisins ou avec la famille élargie. En extérieur, dans les lieux publics, des regroupements d’un maximum de vingt personnes seront autorisés – par exemple pour manifester (la liberté de manifester, interdite depuis sept semaines, étant un des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution). Tous les commerces (à l’exception de la restauration, qui pourrait suivre dans la phase 3, dès le 1er juin), les services de soins à la personne (comme les coiffeurs ou les esthéticiennes), mais aussi les espaces dédiés à la culture (p.16) pourront rouvrir, dans le respect toutefois des règles sanitaires : restriction du nombre de clients afin de garantir la distance de sécurité de deux mètres entre deux personnes, mise en place d’équipements de protection du personnel, mise à disposition de gel hydro-alcoolique, obligation du port du masque buccal, pour les clients, voire de visières pour le personnel… « Ce n’est plus extraordinaire de se promener avec un masque », constata Paulette Lenert. Dans les transports en commun et dans les commerces, son port est devenu obligatoire ce lundi ; il s’est vite généralisé de manière décomplexée. Après une première livraison de cinq masques jetables par personne au début du déconfinement, le gouvernement en distribuera en grandes brassées (35 millions en tout) dans les prochaines semaines : chaque résident au-dessus de seize ans et chaque travailleur frontalier s’en verra remettre cinquante de plus. Le masque cousu main ou siglé par une designer locale sont devenus des accessoires de mode, des signes de distinction sociale.
Pas de retour à la case départ « Mais il ne faut pas se leurrer », insista Xavier Bettel lors d’une déclaration au Parlement hier, jeudi. Même en déconfinant peu à peu, « ce ne sera pas comme avant ». Certes, les visites dans les maisons de retraite et les foyers pour personnes âgées sont à nouveau autorisées (selon des conditions strictes), mais les aires de jeux restent fermées. Certes, des démonstrations pourront avoir lieu, mais pas les messes ; l’Octave devra continuer via streaming. Certes, les médecins consultent à nouveau, mais sur rendez-vous uniquement. Et si les lycées reprennent par groupes alternant présence et homeschooling dès lundi, l’organisation de l’école fondamentale et des crèches, qui suivront le 25 mai, est loin d’être terminée. Les sports qui se pratiquent à l’extérieur et sans contact physique seront autorisés (« le tennis, la voile, le golf et l’équitation », Xavier Bettel) et les sportifs d’élite pourront à nouveau s’entraîner à la Coque. Mais les sports d’équipes, les plus populaires, comme le football, ou ceux qui se déroulent en intérieur et en commun, comme la natation ou le fitness, restent interdits pour minimiser les risques de contagion.
De déclaration en conférence de presse, Xavier Bettel a plusieurs fois passionnément appelé au sens civique et à la responsabilité de tout le monde cette semaine, craignant une deuxième vague ou un besoin de revenir à un lockdown plus conséquent comme le diable l’eau bénite. Mais il n’a pas voulu dévoiler la suite : Où en est la loi pandémie qui remplacera celle sur l’état de crise (qui s’étend jusqu’au 20 juin) ? Qu’en est-il du paquet conjoncturel et d’investissements qu’ont annoncé différents ministres à demi-mots cette semaine ? Et jusqu’à quand s’étendront les régimes d’aides directes et indirectes à l’économie ? Même interrogé par les médias et interpellé par les syndicats, le premier ministre n’en a encore soufflé mot.