L’angle de vue a changé, les efforts se concentrent maintenant davantage sur la prise en charge et les droits des personnes violentes que sur la protection de la victime. Initialement, le projet de loi modifiant la loi sur la violence domestique de 2003 prévoyait entre autres de renforcer la mesure d’expulsion de la personne violente du domicile familial par l’interdiction de prendre contact et de s’en approcher à moins de cent mètres. Le but était d’éviter que la personne expulsée ne campe devant la porte d’entrée du domicile de sa victime et continue à la harceler durant toute la durée de l’expulsion, qui sera d’ailleurs augmentée de dix à quatorze jours.
L’ancienne ministre de l’Égalité des Chances, Marie-Josée Jacobs (CSV), avait déjà tenté d’introduire cette « Bannmeile » dans la loi de 2003, mais elle avait échoué. À lire les amendements élaborés en juin par la ministre de l’Égalité des Chances, Françoise Hetto (CSV), dont le Land s’est procuré une copie, celle-ci compte maintenant aussi abandonner l’interdiction pour l’auteur de violences de s’approcher de sa victime à moins de cent mètres. Pourtant, le comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence s’était déjà penché sur la question de savoir comment les forces de l’ordre pourraient contrôler si la personne expulsée respecte les distances minima imposées. L’idée avait été lancée d’installer un système électronique par GPS qui existe déjà en Espagne.
La ministre compte également laisser tomber toute sanction concernant la prise de contact, car elle pense qu’il faut éviter que la personne violente se voie refuser le contact avec ses enfants pendant son éloignement. C’est aussi la raison pour laquelle l’interdiction de s’approcher de sa victime ne peut être considérée de façon trop stricte, car « à titre d’exemple, la personne expulsée ne pourrait pas aller à la fête de l’école de son enfant, si la personne protégée est également présente ». Finalement, celui-ci ne pourra être sanctionné que sur base de la loi contre le harcèlement obsessionnel.
Or, dès le début, l’asbl Femmes en détresse a toujours insisté sur la nécessité de protéger davantage les enfants lors d’une expulsion, car ils risquent d’être instrumentalisés par le parent expulsé pour mettre la victime sous pression. L’organisation, qui vit au jour le jour des cas concrets, demande une interdiction de tout contact avec les enfants pendant les deux semaines de l’expulsion. Dans son avis, elle avait souligné qu’un aspect important du projet de loi était la responsabilisation de l’auteur de violences qui devait se rendre compte de l’effet dévastateur de son comportement non seulement pour la victime, mais aussi pour les enfants témoins ou même victimes de ces agissements. « Lui donner en même temps le droit au contact avec l’enfant victime de son comportement violent banalisera ces effets nuisibles et va à l’encontre de l’objectif de responsabilisation. » Dorénavant, pour éviter tout automatisme, la question sera tranchée par le juge de la jeunesse – ou, à défaut, le Parquet – qui pourra être saisi d’urgence et devra statuer sur le fonds endéans les trois mois suivant l’expulsion. Cette nouvelle disposition est prévue dans le projet de loi portant réforme de la loi sur la protection de la jeunesse.
La ministre a pris en compte les observations formulées par le Conseil d’État qui s’est soucié des droits fondamentaux de la personne éloignée. D’abord, elle aura droit à une voie de recours contre la mesure d’expulsion, par simple requête adressée au président du tribunal d’arrondissement. Elle sera informée de ce droit par la police lors de son expulsion.
Ensuite, lorsque le Parquet a ordonné l’expulsion, la police peut user de la force pour faire déguerpir la personne violente du domicile commun, mais elle n’a ni le droit de l’emmener au commissariat en attendant la décision du Parquet, ni le droit de procéder à des fouilles corporelles pour récupérer les clés du domicile si la personne expulsée refuse de les remettre volontairement. Le Conseil d’État s’était opposé à cette idée par souci du respect des droits fondamentaux « et notamment des droits matériels et des droits procéduraux de la personne expulsée ». En pratique, la victime sera obligée de faire changer d’urgence toutes les serrures du domicile pour être à l’abri.
Françoise Hetto a aussi laissé renoncé au passage qui prévoit que la police convoque la personne expulsée pour un rappel à la loi. Un rappel à l’ordre sera plutôt confié au service d’assistance aux auteurs de violence domestique Riicht eraus. À l’instar des services d’assistance aux victimes, le Parquet informera systématiquement l’organisation Riicht eraus d’une expulsion. Car la personne violente aura l’obligation de s’y présenter pour une prise de contact : « Cette phase consiste uniquement en l’accueil notamment de la personne expulsée en vue d’une évaluation de la situation ayant pour principal objet de susciter une prise de conscience de la personne expulsée par rapport aux actes de violence et aux événements, indépendamment de toute volonté de collaboration ou de volonté de future prise en charge psychologique de celle-ci. »
Or, l’idée d’obliger un auteur de violence à se faire suivre a été la pierre d’achoppement entre le ministère et l’organisation-mère du service Riicht Eraus, le Planning familial. Opposée au changement de paradigme proposé par la ministre, la présidente Danièle Igniti a préféré couper les liens avec le service Riicht eraus, qui ne correspondrait plus aux critères de fonctionnement de son organisation. Et de toute manière, elle n’a pas apprécié la manière de confier plus de travail à un service sans prendre le soin d’en vérifier la faisabilité. Il n’y a eu aucune assurance que des postes allaient être créés, alors que des rapports devront être dressés, des procès verbaux écrits, des statistiques menées, qui seront adressés à la justice sur le respect de l’obligation de se présenter.
« Jusqu’ici, les efforts de ce service se sont concentrés avant tout sur la voie verte, c’est-à-dire la prise en charge volontaire de la personne violente qui fait cette démarche parce qu’elle est consciente que quelque chose ne va pas et qu’elle doit modifier son comportement agressif, » affirme-t-elle. Et elle ne croit pas un seul instant à l’efficacité de la nouvelle obligation – la voie orange – qu’elle qualifie de cache-sexe pour l’attitude du politiquement correct de Françoise Hetto, sous pression face aux exigences des associations de défense des hommes. Pour Danièle Igniti, le débat sur la violence domestique se trouve toujours dans le contexte du clivage hommes-femmes. Les auteurs de la violence domestique étant pour la grande majorité des hommes, l’objectif initial du service Riicht eraus était de travailler avec ceux-ci dans un esprit de protection des victimes – majoritairement des femmes. La nouvelle tâche – même si le service avait déjà traité des dossiers de personnes violentes qui ont été obligées par le juge de se rendre à un rendez-vous – ne correspond plus à la vocation initiale du Planning familial, pense sa présidente, qui ne regrette pas de devoir se séparer du service à la fin du mois de septembre.
Le service sera alors repris par la Croix Rouge et déménagera au mois d’octobre de la rue Glesener au 73, rue Adolphe Fischer. Dès le début de l’entretien accordé au Land, le responsable du service, Georges Hahn, rend attentif au fait que toutes les victimes ne sont pas aussi innocentes que l’on a tendance à la croire et qu’il voit aussi des clients qui ont été traités injustement. La première prise de contact servira donc à dresser un état des lieux. Si la personne expulsée n’a pas sollicité le service pendant les quatorze jours de la période d’éloignement, le personnel du Riicht eraus le fera.
Cependant, le non-respect de cette obligation n’est pas puni. « La sanction d’une absence de prise de contact est le rapport élaboré par le service prenant en charge les auteurs et adressé au parquet, écrivent les services du ministère de l’Égalité des chances. Celui-ci saura ainsi évaluer l’esprit de collaboration ou non de la personne expulsée, notamment au moment de l’appréciation de la gravité des faits ou dans le cas d’une récidive et aider les instances judiciaires dans l’appréciation des faits à prendre les mesures appropriées en conséquence. »
« Nous aurons un peu le rôle du Scas (service central d’assistance sociale ndlr.) à jouer, précise Georges Hahn, en rapportant aux instances judiciaires les efforts ou les négligences du client et l’évolution du dossier. » D’ailleurs, un autre changement fondamental du rôle du service Riicht eraus sera qu’il pourra assister ou représenter le client devant le juge, pour assurer « l’équilibre de représentation et des droits des parties concernées ». Or, comment assurer la neutralité d’un service de consultation et d’encadrement psychologique qui doit collaborer avec la justice, qui en même temps, joue le rôle de défenseur ou de soutien de la personne jugée ?
Les amendements seront prochainement présentés au Conseil des ministres et déposés au parlement. À ce moment-là, les différents acteurs concernés ne tarderont sans doute pas à présenter leurs avis sur le changement de cap préconisé par la ministre.