Voilà un an que le projet de loi prétendant réformer la loi sur l’avortement fait parler de lui en espaces réguliers, captant à chaque fois une attention certaine des médias et de la société sans que pour cela un travail parlementaire ait vraiment commencé. Le courage nécessaire pour affronter les conséquences à tirer manque inlassablement.
L’histoire commence en janvier 2010 par une heure d’actualité au sujet de la révision de la loi relative à la règlementation de l’interruption de grossesse demandée par la fraction parlementaire des Verts. Si cette heure d’actualité est demandée, c’est bien entendu parce que l’accord de coalition signé, six mois plus tôt, notifie effectivement une révision de ladite loi. Or, il s’agit d’une révision plus qu’attendue par de nombreuses femmes, par les associations féminines et par les professionnels confrontés à des demandes d’interruption de grossesse.
Le jour précédant ce débat au Parlement, les partis de la majorité se voient obligés de se positionner, et déjà la veille, une nervosité politique certaine se fait sentir. Un essai de prise de position du président du parti socialiste, la veille du débat et la veille du dépôt du projet de loi réformant la loi, montre bien qu’une boîte de Pandore a été ouverte. L’avancée, explique préventivement le président socialiste, consiste au fait qu’enfin la femme pourra décider elle-même ! Ce sera elle qui décide ! Le projet n’étant pas encore déposé, ni présenté en commission parlementaire, on ose espérer.
Retour à la réalité du pays, le lendemain en commission juridique, où le ministre de la Justice présente ledit projet de loi. Même retour à la réalité l’après-midi, en séance plénière, où pendant l’heure d’actualité le ministre de la Justice dépose son projet et en explique la nouvelle philosophie, probablement soutenu par son intime conviction. Le ministre de la Santé, probablement soutenu par son intime mauvaise conscience, renchérit en affirmant avoir « réussi à réaliser une percée qui permet d’améliorer la situation de la femme » et conclut en assurant qu’il s’agit « d’une bonne solution, qui améliorera considérablement la situation en pratique ».
Le parti libéral redépose telle quelle – à part la date – la proposition de loi datant de 2007 de la députée socialiste et féministe Lydie Err. Occasion manquée de l’actualiser, car entre 2007 et 2010, la politique sociétale a continué à évoluer, notamment en Espagne, pays catholique par excellence où, après le Portugal, le droit à l’interruption volontaire de grossesse est devenue une réalité.
Mi-juillet, le Conseil d’État émet son avis. C’est une bombe, on ne peut le décrire différemment. Le Conseil d’État, jusqu’à présent connu pour des avis généralement techniques et politiquement plutôt réservés, sert de tremplin aux communiqués des partis de l’opposition et des associations féministes. Le Conseil d’État s’aligne sur l’avis du Conseil national des femmes du Luxembourg, l’association regroupant les associations de femmes de tous les bords.
Non à la pérennisation dans le code pénal et donc à la prolongation du principe « d’indication », non à la consultation obligatoire avant l’acte abortif, non aux clauses de résidence définissant le droit aux services éventuels. Le Conseil d’État se réfère à la convention Cedaw, à la résolution en la matière votée au Conseil de l’Europe et carrément aux droits de l’homme. Finalement, le Conseil d’État souligne qu’il n’incombe pas aux textes législatifs de développer des questions d’ordre philosophique, telle la question de savoir quand la vie commence.
La Commission consultative des Droits de l’Homme émet un avis similaire. Le Collectif « Si je veux » mobilise les femmes et les hommes et dépose une pétition.
Le Collectif demande à plusieurs reprises une entrevue, car aucune commission ne veut les recevoir. Finalement, début janvier 2011, une délégation du Collectif est reçue sur invitation du président de la commission des pétitions, qui encourage également les commissions juridique, de la santé et de la famille et de l’égalité à y assister.
Les député-e-s invités sont présents, surtout des hommes, et l’exposé des représentantes du Collectif est informatif et productif. Beaucoup de questions sont posées, on semble s’intéresser au sujet et on veut comprendre. Mieux vaut tard que jamais !
L’histoire parlementaire s’arrête là. Aucune séance d’une commission juridique ou d’une commission de la Santé n’a eu lieu à ce sujet. La commission de la famille et de l’égalité a décidé que ce sujet ne la concernait à priori pas. Aucun rapporteur ou rapportrice n’a été désigné.
À la mi-mars, le Premier ministre Jean-Claude Juncker et une partie de son gouvernement se retrouvent au Château de Senningen pour accorder les violons des deux partis de la majorité en vue des congrès respectifs qui s’annoncent pour fin mars.
Questionné au sujet dudit projet de loi et de l’impasse dans lequel il se trouve, le Premier ministre du grand-duché répond devant caméra tournante qu’il n’est pas au courant, ayant dû quitter momentanément la séance pour téléphoner.
La morale de cette histoire pourrait se résumer à « n’ouvre pas une boîte de Pandore si tu as peur de perdre la face ». Ce qui au début était prôné comme une avancée considérable pour les femmes, s’avère être une violation du respect de la femme.
Les socialistes l’ont entretemps bien compris et les femmes socialistes ne se sont finalement pas laisser leurrer. La raison d’État décidera probablement de laisser traîner le projet de loi, car les député-e-s de la majorité ne bénéficieront pas de la liberté de voter selon leur âme et conscience. Car, si les membres du Parlement votaient selon leur conviction, nous aurions au Luxembourg un droit à l’autodétermination de la femme en matière de l’intervention de grossesse, c’est évident.
Et la raison de la cause ? Le Luxembourg devra-t-il rester un des pays les plus arriérés en la matière ? Pourquoi devons-nous nous plier à la raison de l’Église catholique ? Comment les élu-e-s du peuple peuvent-ils accepter de se faire dicter des positions politiques par une institution religieuse ? Il s’agit de garantir le droit à l’autodétermination à la femme.
N’en déplaise au président du parti socialiste, mais les femmes décident déjà actuellement de leur sort. Elles l’ont toujours fait et elles continueront à le faire. Là n’est pas la question.
Tout juriste devrait comprendre ce que signifie « dépénaliser » ou « sortir du code pénal » un acte qui reste certes réglementé, mais qui permet à la femme concernée de garder sa dignité dans un moment difficile et non choisi de sa propre vie. Dans cette thématique, on ne peut pas « faire un peu avancer les choses ».
Le président du parti socialiste l’a finalement aussi compris la semaine dernière, marquant un changement de cap total dans son discours en implorant son partenaire de coalition « de se mettre dans la peau d’une femme concernée ». Il n’est jamais trop tard pour bien faire !
Tant que le parti chrétien social restera à la merci de l’institution catholique, ce ne sera pas avec lui que la société luxembourgeoise pourra se prévaloir de respecter la dignité de la femme dans une question élémentaire de son être. À moins que le Premier ministre oublie son téléphone pour quelques instants et ait le courage de voir la réalité sociétale en face et de prendre les décisions qui s’imposent. Cela n’équivaut pas à perdre la face, bien au contraire !
Ou que les femmes socialistes contribuent activement à catalyser la discussion au sein de la société, au risque de provoquer une crise gouvernementale.
Dommage en fait que les femmes chrétiennes sociales obéissent toutes à l’attitude patriarcale de leur parti et n’osent dire tout haut ce qu’elles affirment tout bas.
Heureusement qu’une mobilisation de femmes – et d’hommes – s’est mise en marche. Au nom de toutes les femmes qui ont dû se décider pour une interruption volontaire de grossesse et pour toutes celles qui devront peut-être un jour y recourir.