Faut-il sanctionner les consommateurs de services sexuels ou plutôt considérer que la prostitution est une activité comme une autre qu’il faut encadrer ? Le problème est que, quelle que soit sa forme, le phénomène entraîne dans son sillage la violence, la traite des êtres humains, la clandestinité, le dédain et la stigmatisation. Le grand-duché n’y échappe pas, la rengaine est bien connue, ne serait-ce que depuis la réalisation d’une carto-graphie de la prostitution en 2007 et une étude TNS/Ilres sur la perception du phénomène par la population. Le public s’était attendu à du concret après une large médiatisation.
Or, depuis, c’est le silence radio. En 2009, la nouvelle ministre de l’Égalité des chances, Françoise Hetto (CSV), est entrée en scène et a découvert qu’il lui fallait encore une cartographie avant de se prononcer. Il faut savoir de quoi on parle, a-t-elle fait savoir en substance le 11 janvier aux députés de la commission de la Famille, de la Jeunesse et de l’Égalité des chances. C’est pourquoi il fallait absolument étendre l’enquête sur tout le pays et ne pas se limiter au quartier de la gare de la capitale. Et puis elle voulait aussi s’informer sur tous les modèles existants : des Eros-centers en Allemagne au modèle suédois, qui pénalise l’achat de services sexuels.
L’avantage de ne rien faire pendant des années, c’est que ces différents modèles ont eu le temps de mûrir et sont en train d’être évalués. En fin de compte, la balance pencherait plutôt vers le modèle suédois, qui considère la prostitution comme de la violence infligée – majoritairement, mais pas exclusivement – aux femmes. La France en a fait cette lecture-là et compte maintenant introduire un système de sanction des clients. Car la légalisation des maisons closes des Pays-Bas n’a pas eu pour conséquence une baisse de la traite des êtres humains. En Allemagne non plus, la légalisation n’a pas diminué ce trafic, il semblerait même que ce soit le contraire.
En 2008, les députés socialistes Lydie Err, Marc Angel, John Castegnaro et Claudia Dall’Agnol avaient pris les devants et présenté une proposition de loi sur la prostitution. Ils voulaient abolir l’interdiction de racolage et plutôt punir le client. Le Conseil d’État vient de l’aviser, même si « la prise de position de la part du gouvernement fait défaut ». Pour donner leur appréciation, les conseillers n’ont pas attendu les résultats d’un quelconque répertoire national. Les chiffres de plusieurs études internationales leur ont visiblement suffi pour cerner le phénomène.
Entre treize et vingt pour cent de prostitués sont mineurs, écrivent-ils. Selon des témoignages recueillis parmi d’anciennes prostituées, la plupart a commencé cette activité entre l’âge de quinze et 17 ans. Entre cinquante et 90 pour cent ont été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance et « quant à la question du libre choix de ce métier, la réalité sociale des personnes prostituées est souvent telle que la prostitution est la seule possibilité pour gagner leur vie, les autres alternatives étant limitées, voire nulles ». Et le client dans tout cela ? « L’exploitation sexuelle du milieu prostitutionnel est ignorée par le client, » constatent-ils sèchement.
Jusqu’en avril 2013, le Luxembourg doit avoir transposé une directive concernant la prévention de la traite des êtres humains. Celle-ci prévoit de sanctionner « les utilisateurs de services sexuels fournis par une victime de la traite des êtres humains ». Le hic : il faut que le client sache que la personne concernée est une victime. Or, comment prouver qu’il connaissait le danger de se rendre complice du trafic d’êtres humains ?
Où commence donc la responsabilité du client et suffit-il de payer pour des services sexuels pour rentrer chez soi blanchi ? Cette question est désormais au cœur des débats au niveau international. Et au Luxembourg ? Les élus ruminent toujours sur l’importante question de savoir quelle est « la proportionnalité des sanctions par rapport au fait », comme le rapporte, sans aucune ironie, le procès verbal de la commission. Avec la grandiose question : « Ainsi, le fait d’avoir recours au service d’un(e) prostitué(e) justifie-t-il l’immixtion de l’État dans la vie privée qui a souvent comme conséquence un divorce ? » Tous victimes.