John Lorent, à la retraite depuis l’année dernière, a été conseiller communal pendant plus de trente ans et bourgmestre (LSAP) de Kayl-Tétange durant seize années. Après un coup de téléphone un dimanche matin de l’association des anciens mineurs de Tétange, se faisant du souci quant à la pérennité de la fête de la Sainte-Barbe, il devient aussi le président du comité Sainte-Barbe Tétange, fondé en 1954. Né à Dudelange et ayant vécu à Tétange, village minier situé en plein gisement ferrifère, et dont tout le paysage alentour a été forgé par les exploitations à ciel ouvert et les galeries souterraines, il n’aurait pas pu refuser de reprendre le flambeau. L’enfant du Minett se souvient de voir, et surtout d’entendre, les coups de mine depuis son école primaire : « À l’époque, ces bruits faisaient partie du quotidien ».
Les « tours d’expérience » autour de Sainte-Barbe, comme les appelle Simone Lorang, animatrice en aumônerie scolaire, permettent de donner une idée de cette époque. Que ce soit pour la Saint-Nicolas, la fête d’Emmaüs ou encore l’Octave, celle-ci fait des recherches pour avoir du matériel explicatif et intervenir auprès des classes mais aussi des adultes. « Mes tours durent toujours deux heures et, pour la fête de la Sainte-Barbe, je passe une heure et demie à expliquer les dangers du travail dans les mines », explique-t-elle. Le danger était omniprésent. Si quelque chose se déroulait mal lors du dynamitage bien sûr, mais aussi si la mine s’effondrait malgré l’examen du Steiger, ou maître mineur, qui venait contrôler les parois des mines. Si les parois étaient jugées trop fragiles, elles étaient soutenues par des pièces de bois, les étrésillons. Enfin, des accidents de train pouvaient survenir, si une pierre tombait dessus par exemple. « Un mineur mourrait chaque mois », souligne Lorang. Et, à l’entrée de chaque mine, une petite statue de Sainte-Barbe devant laquelle les mineurs retiraient leur chapeau et la suppliaient de les protéger. Après leurs douze heures de labeur, ils la remerciaient que tout se soit bien déroulé.
L’enseignante en religion explique aux enfants que chaque mineur avait deux plaques à leur nom, une qui les accompagnait dans les profondeurs et l’autre qui restait accrochée dans les vestiaires, aussi appelés « la salle des pendus », en raison des vêtements suspendus très haut pour gagner de la place et sécher plus rapidement. Leur travail terminé, ils replaçaient la deuxième plaque aux côtés de l’autre. S’il n’en restait qu’une, on savait quelle personne était restée enfouie. « Il y a des mineurs qu’on n’a jamais retrouvés », précise gravement Simone Lorang. De l’ouverture de la première mine luxembourgeoise à la fermeture de la dernière, en 1981, 1 551 mineurs ont perdu la vie. Le plus jeune avait treize ans seulement et le plus vieux 78. John Lorent rappelle aussi : « Avant les Luxembourgeois étaient des paysans, ils ont dû faire appel à des spécialistes de l’étranger, de Silésie notamment, mais aussi d’Italie, de France et d’Allemagne, pour ouvrir les mines ». La tradition autour de Sainte-Barbe s’est transmise en même temps, à travers les mineurs arrivés au Luxembourg.
L’ancien maire de Kayl-Tétange s’étonne que les mineurs, durs de caractère et ayant vu nombre de morts et d’accidentés au fond de la mine, aient choisi Sainte-Barbe comme patronne: « Parmi les mineurs, il y avait beaucoup de gens qui n’étaient pas croyants du tout mais, le jour de la Sainte-Barbe, ils allaient quand même à la messe », sourit-il. Quant à Simone Lorang, elle soutient que les mineurs ont choisi cette protectrice pour son courage, le même dont ils ont eu besoin pour entrer dans la mine. Pour que les enfants comprennent ce courage, elle leur raconte aussi l’histoire de cette Barbe, qui aurait vécu au troisième siècle après Jésus Christ… mais en l’enjolivant. Alors que son père païen voulait la marier, celle-ci préfère consacrer sa vie au Christ. Dans l’histoire originale, il tente de l’immoler et finit par lui couper la tête avant de se faire frapper par la foudre mais l’enseignante préfère dire que le père aimait sa fille et était partagé entre son amour pour elle et son devoir de dénoncer les chrétiens. Il l’aurait ainsi simplement « livrée » à l’empereur pour qu’elle soit tuée. « L’essentiel c’est que les gens fassent le lien entre Sainte-Barbe et les mineurs ».
De Dudelange à Pétange, mais aussi à Haut-Martelange et ses ardoisières, Sainte-Barbe continue d’être célébrée. Chaque 4 décembre, la fête commence avec des pétards puis une procession, au cours de laquelle une statue de la sainte est portée par les fils de mineurs à travers les communes, est organisée. « À Tétange, la statue originale reste dans l’église car elle est en plâtre et donc fragile, une copie en bois est utilisée pour le cortège » précise l’ex-bourgmestre. Après un rassemblement près du centre culturel, des fleurs sont déposées sur la tombe du dernier mineur décédé. Ensuite, la messe solennelle est suivie d’une réception avec les autorités locales et parfois nationales. « Puis on mange et on passe l’après-midi ensemble. Je connais bien les mines car les anciens m’en ont beaucoup parlé » complète Lorent. Ce dernier est optimiste quant à la pérennité de la fête de la Sainte-Barbe : « En tant que maire j’ai constaté qu’avant les écoles ne prenaient jamais part au cortège mais, depuis une dizaine d’années, les élèves participent. Ça fait des cortèges monstres avec tous les enfants ! Cette fête traditionnelle fait même l’objet de discussions en classe », se réjouit-t-il.
John Lorent affirme que « la fête de la Sainte-Barbe est un vecteur pour transmettre les connaissances de ce passé industriel qui sans elle tomberaient dans l’oubli. C’est important, même pour les nombreuses personnes qui ne sont pas nées au Luxembourg, de savoir ce qui s’est passé dans le pays depuis 150 ans ». Simone Lorang partage son avis et soutient que des traditions comme celle de Sainte-Barbe « font partie de la culture du Luxembourg ». L’inscrire sur la liste du patrimoine immatériel du Luxembourg et, peut-être, sur celle de l’UNESCO, permettra « d’être encore plus assurés qu’elle ne va pas disparaître » conclut l’enseignante.