Non, nous ne retournerons pas dimanche dans la ville de l’Aube, malgré les liens que son club de football avait tissés naguère, distendus très vite cependant, avec un club luxembourgeois. Nous n’irons pas encourager l’Estac dans ses efforts désespérés contre la relégation. Il est heureusement d’autres raisons de visiter Troyes, à commencer par ses vieux quartiers et leurs maisons à colombages colorées ; elles remontent bien loin, la plupart au seizième siècle, telles églises gothiques plus loin encore. Et puis l’on vous dira ce que la ville doit aux Romains, située sur une voie ancienne importante, profitant après du côté intellectuel de Clairvaux, du côté commercial de la production de champagne.
La Médiathèque Jacques-Chirac, installée depuis 2002 dans un bâtiment contemporain, dû aux architectes Dominique Lyon et Pierre du Besset, compte une salle des documents d’une longueur de terrain de football, des rayonnages sur 17 paliers diminuant en hauteur plus on monte, la salle elle-même se rétrécissant d’un côté ce qui accroît l’effet de perspective. Pas étonnant que la conservatrice a commencé à faire admirer aux visiteurs des Amitiés françaises des imprimés plus récents, façon de dire, s’agissant quand même d’exemplaire de l’Encyclopédie du 18e, pour rebrousser chemin dans le temps, et finir avec les petites merveilles enluminées d’un livre d’heures du quinzième. La richesse de la Médiathèque vient notamment de la confiscation révolutionnaire des collections de l’abbaye de Clairvaux, avec le label Unesco « Mémoires du monde » ; il est d’autre part des regrets, tout aussi forts.
Troyes, bien sûr, la ville se trouve associée le plus couvent au nom de Chrétien, à qui on attribue la naissance du roman français. Son identité reste incertaine, ce qui est sûr, c’est qu’il a été à la cour de Marie de Champagne à qui il a dédié entre autres textes son Chevalier de la Charrette, en l’occurrence l’histoire de Lancelot : « la matière et le sens lui sont donnés/ par la comtesse, et lui, il y met/ tous ses efforts, sans rien ajouter d’autre/ que son travail et son application. » Premier romancier français, oui, non seulement par l’emploi de la langue, il s’est séparé de l’histoire pour créer des récits « romanesques », faire de la fiction donc.
Les manuscrits les plus anciens des textes de Chrétien de Troyes, d’où les regrets, sont à Paris, à la BNF. Ils datent de 1205 à 1220, n’ont été redécouverts qu’en 1933, dans les archives d’un notaire ardéchois ; ils avaient avant servi, chez un autre notaire, champenois lui, à relier des dossiers. Sur une lettrine historiée nous éblouit un portrait de la comtesse Marie de Champagne.
À Troyes, parmi leurs trésors, il faut avancer de deux siècles, à la fin du quinzième exactement, et aux premiers imprimés, pour retrouver Lancelot, en compagnie des chevaliers du roi Arthur, autour d’une table, ronde comme il se doit, garnie de mets, tentures et draperies autour. Les romans de chevalerie eurent la faveur à l’époque, et à partir de 1485, des ateliers de copistes se muèrent en imprimeries, comme Antoine Vérard, à Paris, à qui on doit l’exemplaire daté de 1494, enrichi de onze bois gravés.
Plus ancienne église de Troyes, Sainte-Madeleine fait admirer en premier son jubé, de pareilles tribunes, il n’en reste que peu en France. Un véritable travail de dentellerie, en pierre toutefois, du gothique flamboyant pur (du début du seizième siècle). Et derrière le chœur, les vitraux ne ravissent pas moins ; passons sur la présence normale des donateurs, pour nous attarder à la figuration de la création du monde, bande dessinée de l’époque, et en particulier celle des astres où le peintre verrier a subtilement joué de l’intégration des plaques et des pièces de verre. Une origine du monde qui, contrairement à d’autres, doit conduire en voie droite au salut, à la rédemption.