Les bâtiments étaient en ruine, au centre de Munich, pris dans les bombardements de 1944. Aujourd’hui, la Bayerische Akademie der Schönen Künste, fondée quelques années après la fin de la guerre, en 1948, a son siège dans la Residenz, Max-Joseph-Platz 3. Elle a pris la suite d’une première institution qui remontait à 1808, « freie Kunst-Gesellschaft », entre temps il y eut la mise au pas de la culture comme du reste, il n’y en eut plus que pour la propagande dans la Reichskulturkammer, et les déviants qui n’avaient pas eu la chance de se mettre à l’abri à temps, dans un exil pénible, durent s’estimer déjà heureux d’avoir la vie sauve.
Arts plastiques, littérature, musique, arts performants, cinéma et média, la répartition des sections est logique et traditionnelle, au sein de deux d’entre elles, des membres luxembourgeois, André Jung (qui fait partie aussi de l’académie similaire de Berlin) et M+M (Marc Weis et Martin De Mattia). Et toutes avaient à cœur, en ce mois de juillet d’anniversaire, de s’ouvrir largement au public, invité à connaître leur fonctionnement, leurs activités. À lui de faire son choix en passant dans les différentes salles de la Residenz, ayant accès même à des endroits autrement plus secrets, comme la bibliothèque ou la pièce où fut installé naguère un piano (et un lit) pour Alfred Brendel. À côté, pendant près d’une heure, le président des arts performants, Stefan Hunstein, lisait du Thomas Bernhard, juste interrompu par le saxophone de Max Merseny, avant que sur trois écrans de différentes dimensions passèrent des films, choisis pour leur caractère original.
Belle surprise alors que cette apparition de Delphine Seyrig, dans un film d’Ulrike Ottinger, Superbia, de 1986. Sans jeu de mots, le titre renvoie à une fierté mal placée, un superbe 35 mm, d’une quinzaine de minutes, procession de personnages grotesques, dans des costumes baroques, autant danse macabre. Et ce dernier côté n’en est que plus accentué par les images d’archives, de défilés et de revues militaires, eux bien réels, qui viennent entrecouper le cortège. À la fin de sa vie trop courte, elle est morte en 1990, Delphine Seyrig a travaillé quatre fois avec la cinéaste allemande, toutes deux étant très liées dans leur fort engagement féministe.
Du grand écran et de pareille fantasmagorie, le contraste est brutal aux images prisonnières d’un simple écran de télévision, on aurait dit aux pages d’un album de photos de famille. Nous sommes en 1993, elles sont en noir et blanc, des instantanés d’un voyage à Venise, M+M à plusieurs endroits de la Sérénissime, comme sur ce banc, le regard porté sur le lointain de la lagune. Du pittoresque, au sens propre du terme, qui a son charme, un peu suranné, ça ne manque en tout cas pas d’atmosphère.
La veille, la réunion des membres avait été accompagnée d’une conférence de Chris Dercon, homme de théâtre, de musée, mais son engagement n’avait pas été sans susciter de la brouille. L’auteur dramatique Franz Xaver Kroetz avait démissionné, reprochant au Belge d’avoir mis à mal la Berliner Volksbühne lors de son passage dans la capitale allemande. Et cet homme ne semblait donc pas particulièrement le bienvenu pour parler de la survie des musées, de leurs potentialités, dans les temps difficiles que nous vivons. Il est vrai en plus que Dercon vient de quitter après peu de temps la RMN-GP (Réunion des musées nationaux-Grand Palais) pour prendre la direction de la Fondation Cartier à Paris. Un passage au privé qui n’est pas allé sans réserve de la part de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
À Munich, dans son intervention, à en croire la Süddeutsche Zeitung, Dercon semble avoir réglé ses comptes, s’en prenant à la Pinakothek der Moderne, taxée carrément d’irrelevant. Impression tout autre lors de la visite, dès le premier coup d’œil avec les trois Blinky Palermo, en haut de l’escalier, bien monumental, que le regard saisit entre deux sculptures d’Olaf Metzel et de Chamberlain. Confirmation après avec la collection personnelle des œuvres modernes et contemporaines du prince Franz von Bayern, et toujours cet accent sur Palermo. Enfin, avec un regard tout nouveau sur quelque trois cent cinquante œuvres de la collection du musée, réparties par salle et par thème. Et rien que de voir le triptyque d’Adolf Ziegler, les nus allégoriques du Meister des deutschen Schamhaars, faire face à Francis Bacon, se faire écraser par sa Crucifixion et ses chairs meurtris, vaut le déplacement. On pourrait poursuivre la visite, c’est suffisant déjà pour démentir avec force Chris Dercon.