Descendre dans les caves du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, c’est toujours une expérience : de la lumière aveuglante qui règne dehors en cette après-midi d’été indien, on s’engouffre dans le noir le plus total, avec en plus l’odeur de l’humidité qui s’est formée en des décennies d’histoire du lieu. On a le souvenir de soirées de vernissages arrosées et enfumées passées dans ce dédale de couloirs et de petits espaces exigus – c’était il y a une éternité, lorsque le Casino était encore un lieu d’expérimentations et la loi sur le tabagisme moins restrictive. Aujourd’hui, tout est rangé et sécurisé, les gravats même égalisés et les signalétiques obligatoires indiquant les issues de secours bien proprement installées aux endroits qu’il faut.
Mais quand on descend en ce moment, il y a, dès les premières marches des escaliers, une dimension de plus : le son. Des bip ! et des brrrr !, de tchick ! et de pssst !... – tous ces bruits qu’émettent nos machines électriques et nos dispositifs électroniques, de l’hôpital au cockpit de fusée – l’installation multi-écrans Macrostructure d’Eric Schockmel vous happe d’abord par sa bande sonore. En cinq salles et sept écrans, l’artiste luxembourgeois qui vit et travaille à Londres, spécialiste de l’image de synthèse animée, décline des nouveaux chapitres de sa grande histoire What if you created artificial life and it started worshipping you ?, dont d’autres chapitres ont déjà été montrés ailleurs, par exemple l’année dernière avec Vestibule chez (feu) Bergman-Berglind. Deux ans après l’univers inquiétant d’Unground de Gast Bouschet et Nadine Hilbert, avec ses images et ses sons noirs et anxiogènes, Eric Schockmel propose des images diamétralement opposées de mondes nouveaux à l’esthétique léchée et aux formes futuristes.
Macrostructure fait partie de la recherche visuelle d’Eric Schockmel, une recherche qui essaie d’imaginer des formes nouvelles, inspirées des jeux vidéo, de la science fiction et du design industriel, qui ne soient pas anthropomorphes. Pourtant, entre références évidentes comme à cet œil rouge de Hal 9000 de la Space Odyssey de Stanley Kubrick et techniques reproductives contemporaines dont les images font le tour des médias, Eric Schockmel suit un fil narratif très linéaire : la vie artificielle créée par les robots et machines de ses macrostructures se développe selon le schéma classique de la division cellulaire pour aboutir à une sorte de vie finalement assez organique.
La grande question qui occupe Eric Schockmel dans tout son cycle de films actuels est : Et si cette intelligence artificielle aboutissait à une sorte d’idolâtrie de son créateur, donc de l’homme et de la machine qui l’ont conçue ? Comme une religion banale, comme une reproduction de l’histoire de l’humanité – voire, comme une évolution inévitable ? Ce serait un constat d’échec cinglant de toute croyance dans le futur, d’un pessimisme culturel très début du XXIe siècle : tout ça pour... ça ? Mais peut-être que la prochaine étape des Macrostructure sera la lutte de ces créatures pour leur liberté, qui se terminerait par... un parricide ? Jusqu’ici, la fin reste est ouverte et on se laisse volontiers porter de salle en salle par la curiosité de suivre cette évolution animée en accéléré. Le parcours, heureusement, ne manque pas d’un côté ludique et humoristique : dans la première salle, des dialogues en courriels interrogent différents intervenants fictifs sur la question What if... Le personnage a la réponse : « Try it and see ». Peut-être qu’il a fait pareil, lui, à l’époque.