L’exposition Totally lost à la Fondation de l’architecture dure encore jusqu’au 8 novembre. On encourage absolument les amoureux de l’architecture à aller la voir, nonobstant la difficulté d’accès (pour cause de travaux de voirie), rue de l’Aciérie à Luxembourg-Hollerich.
Nous habitons le pays où le paysage urbain se renouvelle plus vite que le vieillissement avéré des bâtiments. Cette question de la frénésie urbaine posée, celle de la conservation du patrimoine n’a quasiment pas lieu d’être chez nous. On peut le regretter.
Il en va tout autrement dans l’arc Est européen – en tout cas du regard posé sur elle – qui va de l’Italie et de la Grèce jusqu’aux confins de l’ex-bloc soviétique. Y compris la Bosnie et la Serbie qui, pour cause de guerre d’ex-Yougoslavie, ont connu un surcroit de destructions guerrières il y a vingt ans à peine. Là aussi, il est quasi trop tard, sous quelque angle que l’on aborde la question, en termes de patrimoine architectural. Reste donc, à nous Occidentaux, sensibles à l’architecture de l’héritage classique au cours du XXe siècle, qui a fit les beaux jours de l’architecture totalitaire, à prendre des prises de vue de ces ex-lieux de splendeur du pouvoir, qu’ils soient expressément dictatoriaux ou à l’usage du peuple.
C’est à quoi invite l’association Spazi Indecisi, soutenue par l’Union européenne et la Province de Forli en Italie, où, on le sait, l’architecture moderniste construite sous le Duce a encore de beaux restes : sensibilités occidentales en voyage au-delà de l’ex-Rideau de fer, postez par contre vos impressions visuelles. Il est peu probable en effet que les populations des pays autrefois soumis à la botte soviétique aient le même regard esthétisant concernant les constructions des régimes qui les ont opprimés au cours du XXe siècle.
Or, la beauté de l’architecture dite fasciste est bel et bien une réalité. Celle-ci, quel que soit son état de délabrement, pour cause de chute du Mur de Berlin, fascine. Des artistes la photographient, vite, en grand format, avant que le temps n’ait fait disparaître ces espaces. Leurs images, immanquablement séduisantes car basée sur la symétrie spatiale, font florès dans les galeries branchées de New York et de Paris ; des historiens se penchent sur la raison d’être de ces architectures futuristes, très troisième type à l’époque comme aujourd’hui, à coup de livres scientifiques et de colloques.
C’est ce regard, à la fois critique, interrogateur et nostalgique sur les architectures du pouvoir – supposément aussi délégué au peuple – que l’on peut voir à la Fondation de l’architecture, partenaire avec l’association Spazi Indecisi pour le projet de mémoire photographique Totally lost.
Que faire de palais de dirigeants quasi impériaux, de maisons du peuple grandiloquentes, de colonies de vacances genre camp militaires et autres théâtres dits populaires, à l’ère de l’individualisme triomphant et de caisses des États vides ? L’ordre – poussé jusqu’à ses dérives les plus douloureuses que symbolisent les hôpitaux psychiatriques et les immeubles d’habitation « cages à lapin » – soutenu par celui de l’agencement classique de la construction architecturale, a fait son temps.
Car oui, leur agencement architectural hiérarchisé – la ville classique européenne était elle aussi absolument ordonnée – est d’autant plus fascinant qu’il n’est pas sûr que le libéralisme triomphant ait jusqu’au jour d’aujourd’hui trouvé la parade…