Toujours calme, Paul Kirps. Même à la veille du vernissage. Car on a été le voir et son accrochage (fin prêt en début de soirée), la veille d’un tohu-bohu indescriptible. Pas sûr en effet qu’on aurait pu se faire une idée des tableaux exposés entre les groupes agglutinés et un buffet bluffant d’abondance et donc captant l’attention des invités tout autant sinon plus que l’accrochage de Signals…
Mais cette affluence à la galerie L’Indépendance de la BIL, est assurément la preuve que notre encore jeune artiste – Kirps a désormais la petite quarantaine – n’a pas besoin d’avoir peur qu’on l’oublie au Luxembourg. Il faut dire qu’il a été gâté à ses débuts de graphiste – sa formation d’origine – car, via le soutien de Marie-Claude Beaud, alors à la tête du Mudam, et, aussi, une suite d’enchaînement heureux – qui s’appellent peut-être être là au bon moment – Paul Kirps est le seul artiste luxembourgeois dont une pièce, Autoreverse, fait partie des collections du Moma à New York, excusez du peu.
Mais ce type de succès fulgurant peut être à double tranchant, Kirps en sait quelque chose, lui qui, contrairement à d’aucuns, refuse d’intégrer la voie rassurante financièrement de l’enseignement, par exigence personnelle : la volonté l’habite de se consacrer à son travail d’artistes à part entière.
Si d’autres de ses œuvres sont connues sur le plan national car faisant partie de collections publiques comme ses Diamonds acquis par la Ville de Luxembourg et exposés au Ciné Cité, les stores 54 réalisés pour le siège du Fonds Kirchberg*, la carrière d’un artiste peut être en dents de scies. Paul Kirps a donc essayé ici que le soufflé ne retombe pas et sa stratégie semble s’avérer payante.
Du culot, il en faut. Aussi, cela fait un an et demi que Paul Kirps s’était mis dans l’idée de faire un coup d’éclat et d’exposer dans la belle galerie de la Bil qui, autrefois lieu par excellence de l’exposition de bonnes peintures luxembourgeoises, était, c’est vrai, tombée dans un sommeil de Belle au Bois Dormant ces derniers temps. Il espère d’ailleurs que cela inaugurera une nouvelle politique d’accrochage route d’Esch, en faveur de l’art contemporain et de la peinture de qualité en particulier.
Car, deuxième pas de la stratégie de Kirps qui, il faut le dire, ne manque pas d’air, ce qui en agasse assurément aussi d’aucuns, Kirps donc s’est donné comme défi personnel de revenir aux fondamentaux de la peinture. Connu pour son travail à l’ordinateur, donc de la création dématérialisée par essence, on apprendra le jour de preview de l’exposition, que Kirps fut un des derniers à l’école par exemple à faire des maquettes.
C’est donc avec plaisir que ce cérébral est revenu, pour le cœur de l’exposition, aux fondamentaux. En effet, l’artiste a tout fait manuellement, à commencer par tendre les toiles sur les « boîtes » de bois qui lui ont servi de châssis… Dans l’exposition même, une musique de proportions, pas nécessairement visible par le visiteur mais inconsciemment perçue par l’œil (à l’origine, la taille des toiles est réglée sur la possibilité de faire entrer les caissons de bois dans l’atelier !), réunit les plus grands et les plus petits tableaux de l’espace central.
C’est ici que Kirps expose les pièces de sa nouvelle manière de faire. Mais c’est un peu en retrait, à droite de l’entrée de l’espace d’exposition, que se trouvent les deux tableaux qui sont à la fois l’inauguration de sa peinture actuelle et l’au revoir à la période antérieure.
Les deux toiles s’appellent Version A, et One. On y retrouve l’essence de l’art de Paul Kirps, avec la représentation d’une machine et des formes difficiles à référencer sinon qu’il s’agit d’une sorte de vocabulaire, des signes issus du monde technique, voire technologique. Le fond, gris, disparaît peu à peu sous les couleurs qui ont été placées au pinceau. Par la suite, Kirps a déterminé des champs de couleurs travaillés au rouleau. Voici, ainsi réalisés, Autostrada, Hearthbeat et Resume.
C’est un des ensembles qui sont exposés au centre de l’exposition. Kirps dit avoir eu l’idée de ce qu’il représente ici en voyant dans sont atelier, des objets disposés par couches les uns sur les autres, donc fragmentés. Ce qu’il fait ainsi ressortir, ce sont des éléments de choses vues : la route, la voiture, un panneau vantant les trésors d’une région ; un muscle et le système veineux qui l’irriguent, l’électrocardiogramme stylisé sous forme de frise à la grecque…
Dans le genre langage codé, Polyurethane est peut-être plus facile à décoder, avec le sigle de la colle bonne à faire tenir le bois, le carrelage, etc. Mais faut-il d’ailleurs chercher à comprendre le cheminement intellectuel de Kirps ? Pour le spectateur, seul comptera peut-être le code couleur (orange, rouge, gris, marron, vert)…
À côté de ces toiles travaillées à l’acrylique sur toile, on retrouvera l’univers « traditionnel » de Kirps : le flipper et le bancomat qu’on a pu voir au Casino – Forum d’art contemporain (Highscore et Terminal), côtoient ses bandes magnétiques, cassettes vidéo, platines (Kraftwerk, Vidéocomposite, HiFi 80), tous des tirages uniques ou des séries limitées à jet d’encre UV.
Personnellement, on a aimé une série qui ne figure pas dans le catalogue et que Kirps a failli garder en réserve. On y voit un camping car, son chauffeur sans doute, en parka façon treillis militaire et un paysage de montagnes réduit aux traits de contours du paysage. Le triptyique Basecamp serait-il la preuve que la moindre maîtrise aussi, voire une sorte de retour au réalisme réussissent aussi à Paul Kirps ? N’en déplaise au puriste, admirateur des abstraits modernistes et critique de notre société qui a récupéré leur art pour en faire l’usage de logo esthétique au service de la consommation.