On prend les mêmes et on continue. Les autorités luxembourgeoises de régulation du secteur financier n’auraient-elles pas tiré les conclusions nécessaires de la crise de 2008 et compris les dangers d’un contrôle défaillant ? Ce sont en tout cas les craintes du groupe composé de représentants des investisseurs (l’association Protinvest), des consommateurs (l’Union des consommateurs) et les syndicats Aleba, OGBL et LCGB. Les lettres ouvertes adressées la semaine dernière aux ministres des Finances Luc Frieden (CSV) et du Travail Nicolas Schmit (LSAP) sont l’expression d’un ras-le-bol face à l’attitude qu’ils trouvent arrogante des responsables de banques, de l’association des banques ABBL et de l’institution de contrôle CSSF (Commission de surveillance du secteur financier).
Suite à l’éclatement de la crise financière de 2008 et l’action de sauvetage des banques par les gouvernements européens qui ont pioché dans les budgets publics pour éviter trop de casse, une poignée d’investisseurs ont créé en février 2009 l’association Protinvest avec un comité d’éthique auquel participent des membres de tous les partis politiques à l’exception de l’ADR. Selon ses membres, la crise a bien montré qu’en fin de compte, c’est toujours le citoyen qui paie les pots cassés. Ses intérêts doivent davantage être pris en compte et il doit être mieux informé de ce qui se passe derrière les coulisses des établissements financiers. Ils ont donc entrepris des démarches auprès des représentants de la place financière pour plaider pour plus de transparence et de participation. Selon le président de l’association Fred Reinertz, lui-même un ancien banquier, le but n’est pas de miner la place financière de Luxembourg, mais de la rendre plus crédible en garantissant une meilleure protection du client. Un des objectifs est de faire siéger une représentation des consommateurs au sein de la CSSF. « Les réactions ont été violentes, se souvient le secrétaire général Edgar Bisenius, nous avons même été ridiculisés. » Grossomodo, on leur a fait savoir que la loi ne prévoyait pas de représentation des usagers au sein de la CSSF, point barre.
Mercredi, le directeur de l’ABBL Jean-Jacques Rommes a même fait un étrange rapprochement entre la CSSF et la police dans l’essentiel Online en argumentant que la police non plus n’avait pas de comité d’automobilistes qui décidaient à quelle vitesse on pouvait rouler. Or, la CSSF contrôle les établissements financiers qui justement sont représentés dans les comités et commissions. Cherchez la logique.
La réponse de la part des autorités publiques a certes été plus courtoise que celle du régulateur, mais expéditive elle aussi : la protection des intérêts des clients des banques est garantie de manière « transversale » dans les textes législatifs.
Le ministre des Finances, Luc Frieden, se veut conciliant et a proposé mercredi à la radio 100,7 de créer d’autres organismes où siègeraient les représentants du secteur bancaire et des consommateurs pour des échanges d’idées. Encore faudrait-il définir quelle pourrait être l’influence de ce comité ou s’il ne s’agit pas plutôt d’un analgésique pour calmer les défenseurs des usagers des banques.
D’autant plus qu’ils ont d’autres revendications encore qui font grincer des dents. Pour éviter une nouvelle affaire Madoff, ils proposent notamment d’étendre la protection des donneurs d’alerte (whistleblowers) aux salariés des banques. Ceux-ci ne pourraient plus être licenciés en cas de signalement d’une irrégularité constatée et devraient pouvoir poursuivre leur carrière normalement. En plus, chaque entrevue entre conseiller financier et client devrait être actée par un procès-verbal qui reprendrait les détails de la discussion, les conseils de placement qui ont été donnés etc. Ce serait une preuve en cas de litige.
Les revendications formulées n’ont rien d’exceptionnel, affirment les représentants de Protinvest, c’est même devenu monnaie courante dans les pays voisins. Pourquoi ne pas les appliquer au Luxembourg, qui a tout intérêt à conforter la crédibilité de la place financière et de la qualité de son contrôle ? D’autant plus que le Luxembourg s’est de nouveau jeté la tête la première dans de nouvelles aventures à haut risque en transposant le pied levé la directive sur les hedgefunds. « Or, c’est s’exposer à de nouveaux risques de vouloir attirer un maximum de ces fonds au grand-duché, maintient Fred Reinertz, car les autorités n’ont pas veillé à instaurer des garde-fous dans la législation et à pallier les lacunes des structures de contrôle. » Un nouveau scandale du type Madoff n’est donc toujours pas exclu, poursuit-il, même si des efforts ont été réalisés au niveau de la Banque centrale du Luxembourg pour éviter une nouvelle crise.
Une des premières initiatives de l’association a d’ailleurs été d’analyser les conditions générales, auxquelles les clients doivent souscrire lorsqu’ils ouvrent un compte par exemple, de quelques grandes banques de la place. Pour en conclure que les usagers sont en règle générale les dindons de la farce en cas de pépin, les droits et devoirs entre les contractants étant loin d’être équitables. « Une telle situation n’est pas possible en Allemagne ou en France, où le contrôleur dicte jusqu’où une banque peut aller, » précise le président de Protinvest, qui compte aussi s’occuper des assurances et de leurs pratiques courantes dans un avenir proche.