Il porte un pantalon jaune clair et une chemise vert pastel. Il faut toujours se méfier des hommes qui font autant de fantaisies devant le miroir le matin. Neal est tout ce qu’il y a de plus ringard. À presque quarante ans, ce jeune médecin, chef des urgences d’un hôpital public sous-financé et sous-équipé, plie sous le poids de la responsabilité, à tel point qu’il a l’impression de ne plus avoir de vie. Lui et sa copine Rachel, docteure elle aussi, ne se parlent plus guère, faute de temps. Depuis trois semaines, ils ne communiquent plus que par post-its ou par messages électroniques. Débarque alors Richie, leur ami de jeunesse, qui est l’exact opposé de Neal. Cela se voit déjà à son accoutrement : Richie porte un pantalon de combat, des rangers, un marcel noir et une chemise à grand motifs. Là où Neal est coincé dans sa vie professionnelle et hypocondriaque anxieux en privé, Richie semble si libre de faire ce qui lui chante. Il se dit journaliste free-lance qui voyagerait autour de la planète pour écrire les plus belles histoires pour les grands médias. Mais au fil du temps, il s’avère qu’il se peut tout aussi bien qu’il soit simplement mythomane.
Neal, Rachel et Richie sont les trois personnages principaux de Love and understanding de l’auteur britannique Joe Penhall, que la metteure en scène luxembourgeoise Anne Simon vient de monter au Théâtre des Capucins. Le quatrième personnage de cette production maison, qui s’intègre dans la stratégie du directeur Tom Leick-Burns de développer le public anglophone des Théâtres de la Ville, est sans conteste l’impressionnant décor de Marie-Luce Theis : architecture élégante avec un petit côté désuet, il se décompose peu à peu, comme se décompose le couple de Neal et Rachel, des murs s’ouvrent, donnant à voir de nouveaux espaces, qui, avec un détail – un néon par exemple – se transforment en bar ou en restaurant.
Alors que Richie a débarqué à l’improviste chez ses vieux amis, où il compte bien taper l’incruste pour quelque temps, il s’avère rapidement que cet homme si non-conformiste fera fonction de deus ex machina, de révélateur de tout ce qui ne va pas dans la vie des deux médecins partageant le même stress – et un prêt hypothécaire –, mais plus grand-chose d’autre. Par contre Richie, lui, n’a rien : pas de soucis d’argent (il n’en a jamais), pas d’immobilier à gérer, pas d’emploi où il passerait « cent heures par semaine ». Plus de copine non-plus. En fait, il se réfugie chez Neal et Rachel, qui lui semblent un couple idéal et dont il admire la stabilité.
Love and understanding, qui fait référence à la chanson éponyme de Cher devenue un hit planétaire en 1991, a été écrit avant Facebook et Twitter, avant Tinder et Meetics, lorsque les gens allaient encore dans des bars pour se parler. Alors qu’on n’évoquait pas encore les Millennials ou la Génération Y, Penhall (qui avait trente ans quand il a écrit la pièce, en 1997) y pose les questions qui hantent tous les trentenaires : la carrière vaut-elle de s’auto-exploiter ou de se faire exploiter jusqu’au burnout ou vaut-il mieux vivre en liberté, en abandonnant un peu de son bien-être matériel pour passer une journée à se saouler au bord de l’eau ?
Comme à son habitude, Anne Simon fait de la pièce (dont le texte n’est pas plus brillant que ça) un spectacle dynamique, rythmé et plein d’idées visuelles. Ainsi, cette fille de cinéphiles allie l’abstraction du théâtre avec le réalisme du cinéma, commençant la pièce avec une coulisse sonore imposante d’avions qui atterrissent ou décollent au-dessus de la maison de Rachel et Neal, travaillant avec des coupes et des noirs, pour un montage rapide de quelques scènes qui introduisent les figures – Neal et Richie, leurs retrouvailles, leurs différences. Seulement après quelques-unes de ces saynètes, les acteurs auront du temps pour développer leurs dialogues. Ailleurs, pour amplifier le sentiment de non-communication, elle les fait se parler sans se regarder, sans même se voir, à des endroits différents.
Mais ce qui sauve vraiment la pièce du divertissement banal, c’est la performance d’Owen Sharpe, acteur irlandais qui a fait le voyage au Luxembourg pour ce rôle. Il incarne un Richie libre mais dangereux, voire junkie, parfois même bordeline, qui peut à tout moment devenir psychotique. Sa force physique n’a d’égal que sa folie. Son désir de Rachel, femme idéale car théoriquement inaccessible, l’amène à rompre sa loyauté envers un ami d’enfance. Entre lui et Neal
(Nickel Bösenberg, un peu pâle dans ce rôle),
Larisa Faber, parfaite avec son côté stiff upper lip au début, se lâche peu à peu pour ensuite incarner une Rachel à la recherche du bonheur – ou au moins d’un peu de beauté dans sa vie.
Le titre est une citation extraite de la pièce.
Love and understanding de Joe Penhallmise en scène : Anne Simonassistée de Tom Dockal : scénographie : Marie-Luce Theis ; avec : Nickel BösenbergLarisa Faber et Owen Sharpe ; prochaines représentations ce soirvendredi 3
et demainsamedi 4 mars à 20 heures au Théâtre des Capucins ; www.theatres.lu.