Un opéra de chambre en Serbe au cœur d’un cycle contemporain du Grand Théâtre peut faire peur, en atteste le Studio rempli partiellement seulement le 14 Février dernier pour la première de Svadba. Et quel dommage, car cette création de la compositrice Ana Sokolović s’avère être une bien belle parenthèse d’une petite heure bourrée de charme, de poésie naturelle et de puissance vocale.
Créé en 2015 dans sa version scénique européenne au Festival d’Aix-en-Provence, Svadba - alors encore inédit sur le Vieux Continent – naît quatre ans plus tôt sur une commande de la compagnie de production canadienne Queen of Puddings Music Theatre. Ana Sokolović, née à Belgrade et installée depuis au Canada, en établit le livret en s’inspirant de textes folkloriques balkaniques et en place l’action durant la nuit qui précède le mariage de Milica, nuit qu’elle passe à plaisanter, à s’émouvoir et à s’interroger avec ses meilleurs amies Danica, Lena, Zora, Nada et Ljubica...
Svadba, cela veut d’ailleurs tout simplement dire « mariage » en serbo-croate, mais Svadba c’est d’abord et avant tout la conjugaison surprenante de six voix qui le sont tout autant. En effet, le choix a été fait de créer toute la musicalité de la pièce avec les chants a capella des six interprètes féminines, seulement ponctuées çà et là par une clochette ou des petits tambours. Tantôt superbement lyriques, tantôt stridentes, riantes, psalmodiantes ou résumées à une suite d’étranges borborygmes, les chants serbes de ces copines en goguette se croisent et se répondent avec une harmonie et une pertinence toute étudiée, jamais laissée au hasard. Et si chacune semble donner tout ce qu’elle a au fond des tripes pour exulter vocalement, c’est la puissance contrastée et la profondeur de la voix de Florie Valiquette, incarnant la future mariée Milica, qui impressionne le plus.
Ainsi, si le livret peut paraître simpliste, il fait en fait la part belle à ces voix génératrices d’interprétations multiples, faisant de Svadba « un opéra davantage centré sur des émotions que sur une narrations » comme l’indique justement Ted Huffman, partenaire de Zack Winokur pour la mise en scène originale de la pièce. Souhaitant s’intégrer dans un courant qui vise à réinventer – progressivement – le genre opératique, les deux Américains optent ici pour une scénographie très minimale et subtile, dans un dégradé de beige qui transmet un sentiment de confort et qui rapproche d’autant plus le public des actrices/chanteuses/danseuses. De plus, l’absence quasi totale d’éléments extérieurs permet d’encore plus se concentrer sur les mélodies et sur la langue serbe dont la sonorité semble particulièrement propice à ce genre d’exercice. Le tout arrive à mettre en valeur de manière simple et intelligente l’axe plus sérieux de cette création, à savoir la référence à l’originel qui se trouve en chacun...
Car Milica ne cherche-t-elle pas conseil auprès de sa communauté, auprès de ce qu’elle connaît depuis toujours alors le mariage va l’en séparer quelques heures plus tard, et à tout jamais ? Ce rapport à l’immuable et à l’enfance se retrouve en l’occurrence tout au long de l’opéra : chaque demoiselle crée son espace propre par le mouvement, qu’elle fait ensuite communiquer avec celui de ses amies, par du contact, par des jeux d’enfants et d’adolescents, semblant au fur et à mesure à la fois essayer de retenir et réconforter Milica. Si le mieux est parfois l’ennemi du bien, Sokolović et ses metteurs en scène l’ont bien compris, pas besoin d’en faire des tonnes pour transmettre du vrai, du beau... Il suffit souvent de la plus grande simplicité.