S’il est une secousse théâtrale à ne pas manquer en ce début d’année, c’est bien celle-ci... En questionnant habilement le public du Centaure sur la pertinence de créer la vie dans le contexte actuel d’une planète malade, Larisa Faber et Pitt Simon, mis en scène par Linda Bovini, offrent à la fois matière à réflexion et une parenthèse d’émotion et de justesse qui constituera sans aucun doute une des meilleures réalisations de la saison.
Tout commence par une bombe, un missile que semble se prendre en pleine figure le pendant féminin du couple : son chéri veut un bébé, oui « un bébé ! », et il le lui annonce là, dans la file de caisse d’une grande enseigne d’ameublement scandinave... Elle est bouleversée, en appelle même à l’absurde et laisse alors déjà poindre l’état de questionnement et de quasi hystérie constant dans lequel le sujet la plonge systématiquement : comment et surtout pourquoi donner la vie quand le monde est dans cet état, quand l’Humanité se fait déjà tant de mal à elle-même ? Car pour la jeune fille, un bébé – mot qu’elle semble avoir du mal ne serait-ce qu’à prononcer – n’est pas qu’une être, c’est une masse de dizaine de milliers de kilogrammes de dioxyde de carbone lâchée sur la Terre et dans l’atmosphère. Larisa Faber excelle dans l’interprétation de cette thésarde anxieuse en perpétuelle interrogation qui parvient même à demander à son Pitt Simon d’amoureux : « Est-ce que c’est ce que je pense ? ». Lui, artiste épicurien, est plus dans l’affect et n’arbore que le simple rêve de fonder une famille avec celle qu’il aime plus que tout. Plein de compassion et d’espièglerie, il parvient peu à peu à convaincre sa moitié que malgré leur style de vie relativement consumériste, ils sont des « gens bien » et qu’il ne leur suffira que de quelques efforts sociétaux pour compenser l’empreinte carbone de leur futur rejeton...
Le mécanisme se met en route, l’excitation laisse place tantôt au drame, à la séparation, au retour, à la surprise, à une vie toute entière. Si en la résumant ainsi l’histoire de cette création du Théâtre du Centaure, en coproduction avec les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Kulturhaus Niederanven, peut paraître assez simple malgré une trame de fond résolument sérieuse, c’est sans compter sur l’alchimie du duo Simon-Faber qui sublime ce couple parfois agaçant mais toujours attendrissant. Si tous deux sont des acteurs accomplis à la réputation éprouvée, l’alliance audacieuse de ces forts caractères se révèle au final plus que payante : complicité évidente – dans les scènes de discussions à bâtons rompus comme dans celles sans un mot de plénitude charnelle ou de tristesse infinie, virtuosité des dialogues simultanés, gestuelle naturelle et précise... Chaque minute que le spectateur passe aux cotés de ces deux adorables énergumènes sans noms en appelle le double et invite à s’interroger sur les mêmes problématiques qui les empêchent de dormir la nuit : « sachant que même si je faisais un vol quotidien aller-retour Londres-New York pendant sept ans, je ne relâcherais pas autant de CO2 dans l’atmosphère que mon futur enfant, tout cela est-il bien raisonnable ? ». Quand sa perte de pieds à elle enivre, sa bienveillance à lui, le « noyau pour son proton », apaise.
Deux éléments forts constituent autant d’atouts supplémentaires de grande qualité pour ce Séisme : tout d’abord le texte de Duncan Macmillan traduit par Séverine Magois, brillant dans sa simplicité, son esprit et son humour, sans longueur ni effet de style inutiles ; mais également la très jolie – et première ! - mise en scène de Linda Bovini, assistée par Frédérique Colling. Tout est juste, de la musique aux mouvements en passant par le décor simplement constitué de plusieurs centaines de bouteilles à recycler fournies par le Step Bettembourg/Dudelange et mises en cages dans un élément mobile polyvalent et un fond de scène multicolore prenant remarquablement bien la création lumineuse de Pedro Moreira. Ainsi, aucune faille ne vient entacher ce tremblement de terre unique, qui répare bien plus qu’il ne détruit.