« An aller Rou »

d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2025

Pour un acte manqué, c’en était un. En amont de l’interpellation sur la loi d’archivage fin mars à la Chambre, le ministère de la Culture avait envoyé une compilation de seize avis, allant de Luxroots au Syvicol, aux députés. Mais le ministère avait oublié d’y inclure l’avis du principal utilisateur des Archives nationales de Luxembourg (AnLux), qui en est également le critique le plus sévère, à savoir le C2DH. Face au Land, le ministre Eric Thill fait son « mea culpa » ; il se serait agi d’« un problème administratif ». Dans cet avis datant d’avril 2024, le Centre pour l’histoire contemporaine et digitale estime que la loi d’archives de 2018, « plus restrictive et avec des délais de communication plus longs que dans le reste de l’Europe », constituerait « un désavantage compétitif structurel pour la recherche historique luxembourgeoise ». Contactée par le Land, Josée Kirps, la directrice des AnLux, en convient : « Certains fonds qui étaient accessibles avant la loi de 2018 ne le sont plus aujourd’hui, c’est effectivement vrai. » Pour d’autres fonds, l’accès serait devenu plus compliqué, nécessitant des dérogations qui coûteraient du temps, tant aux archivistes qu’aux chercheurs.

Ce 20 mars devant la Chambre, Franz Fayot s’est improvisé le porte-parole des chercheurs. Il a dénoncé « une certaine philosophie » qui règnerait aux AnLux, dont l’interprétation de la loi de 2018 serait excessivement restrictive. Le député socialiste a plaidé pour une « approche moins poussiéreuse et moins défensive ». Politiquement, le sujet est peu sexy. Les bancs parlementaires se sont rapidement vidés. À un moment, seuls deux députés socialistes siégeaient encore derrière leur camarade Fayot. Sa proposition de loi (déposée le même jour) vise à réduire les délais de communication, pour les aligner sur « les standards des pays limitrophes ». À commencer par les documents couverts par le secret fiscal, qui sont actuellement interdits d’accès pendant cent ans. Une durée imposée jadis par le ministère des Finances, que Fayot veut réduire à cinquante ans. Actuellement, la présence d’un bulletin d’imposition suffit pour que tout un dossier reste inaccessible pendant un siècle. (Pourquoi ne pas enlever ce document pour l’y remettre ensuite ? « Cela ne se fait pas chez les archivistes », répond Josée Kirps, se référant au principe de « l’intégrité du dossier ».)

Pour les dossiers contenant des données à caractère personnel, Fayot propose de ramener le délai de 25 à dix ans après la mort de la personne concernée. Dans son avis, le C2DH va plus loin, notant que « la protection de la vie privée s’éteint au moment de la mort de la personne concernée ». Bref, le RGPD ne s’appliquerait pas aux morts. Josée Kirps s’affiche prudente : « Mais les morts ont des enfants et une famille ! C’est délicat... Surtout dans un petit pays comme le Luxembourg, où les gens se connaissent les uns les autres », dit-elle au Land. Cette bienséance paraît mal placée. Grâce à eluxemburgensia (un outil de recherche très puissant développé par la Bibliothèque nationale), un chacun peut avoir accès, en quelques clics, à des milliers d’articles de presse couvrant les procès d’épuration (« Vor dem Spezialgericht »). Ces chroniques et brèves publiées dans l’immédiat après-guerre citent systématiquement les noms des accusés, voire des témoins, et détaillent les motifs des condamnations.

André Bauler s’est montré ouvert à une révision de la loi, dont il avait été le rapporteur il y a sept ans. Les longs délais « compliquent énormément » le travail des historiens (et des passionnés de généalogie), et sont possiblement « disproportionnés », a estimé le député libéral. On pourrait donc envisager « l’un ou l’autre assouplissement », notamment pour les documents touchant au secret fiscal. Même son de cloche chez la directrice des AnLux qui se dit « très favorable » à une adaptation des délais. Dans l’idéal, ajoute-t-elle, il n’y aurait qu’un délai pour tous les dossiers ; même si ceci s’avérait difficile à réaliser. Proche du départ à la retraite, Kirps s’explique les fréquents « clashs » entre chercheurs et archivistes par le déphasage entre la lente croissance des AnLux et l’explosion du C2DH ; les archivistes n’arrivant pas à suivre la demande en forte hausse provenant des contemporanéistes.

Ce 20 mars, devant la Chambre, Eric Thill a beaucoup parlé pour finalement peu dire (de concret). À côté de phrases sentencieuses sur l’importance des archives, le ministre a placé quelques messages, s’engageant à « faciliter » l’accès aux documents et à « raccourcir » les délais de prescription. En bon politicien, il a assuré ses arrières : Il chercherait « une voie équilibrée », dans le « dialogue » et le « consensus ». À la question de Franz Fayot sur le timing fixé, le ministre répondait qu’il préférerait ne pas en avancer. On « analyserait et évaluerait » les différentes positions, et ceci « an aller Rou ».

Bernard Thomas
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