Après « huit ans de traversée de déserts de scepticisme prosaïque », Giulio-Enrico Pisani revient à la poésie avec la parution de son nouveau recueil La nuit est un autre jour. Comme dans sa première collection de poèmes publiée en 1996, l’amour et la passion sont bien à l’ordre du jour. Cependant c’est un poète assagi qui se présente à nous et avoue aujourd’hui « aimer le bon vin sans rechercher l’ivresse », tout en voyant d’un œil critique la « pâle jouissance privée de passions » (Kif). Et des passions, il en a. Il se fait l’avocat d’une théologie de l’amour: « vierge palpitante ou amoureux transi,/amis d’enfance ou vieux couple tremblant./ Dieu c’est tout cela, et c’est très bien ainsi » (Dieu n’est pas…).
Néanmoins sa conception de l’amour ferait grincher bien des théologiens. Le poète chante le corsage, enfin ce que celui-ci révèle, ces « quarts de sphère de Diane, globes généreux de Vénus » (Corsage) et il ressuscite quand il se fait « vêtir de chauds baisers » (Résurrection). Pisani est de ces poètes pour qui l’amour ressenti pour une personne est inextricablement lié à l’amour de l’humanité entière. Auteur prolifique, il s’engage pour une société plus humaine. Parmi ses ouvrages récents, l’on peut compter sa biographie du résistant, militant communiste et ministre de la Santé publique, Charles Marx paru en 2007 (voir Laurent Mignon, « Marx au pluriel » dans le Land du 4 avril 2008) et son essai collectif Nous sommes tous des migrants paru en 2009 (voir Ian de Toffoli, « Mots pour apaiser la douleur », dans le Land du 16 juillet 2009), un échange de lettres avec des auteurs de trois continents autour du thème de la migration. Critique d’art, commentateur culturel et observateur bien informé des événements en Tunisie, il écrit régulièrement pour la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollék.
Cet engagement est reflété dans sa poésie. Un poème tel que 1941-2007 : 66 ans de Maquis évoque les héros de la résistance et cite Charles Marx : « Il ne faut pas les oublier./Il ne faut pas les trahir. » Une autre trahison que Pisani dénonce est celle dont sont victimes ces nouveaux « Peuples de la mer » : « Chassés par la faim/bousculants bousculés/pourchassants pourchassés, maudissants maudits. » Ses vers sont aussi un appel à la solidarité. Sans nul doute, son arbre est l’olivier qui a généreusement offert « son sang doré » depuis des siècles « aux enfants de la terre » et qui est « l’arbre de la paix/ami des colombes » (Mer des oliviers). Le lecteur n’est donc nullement surpris de rencontrer au détour d’une page un Christ, quelque peu blasphémateur, « terroriste potentiel » qui craint que son sépulcre ne soit dynamité par Tsahal avant que sa Marie-Madelon n’ait pu l’en libérer (Jésus aux fabricants de terroristes). Ici aussi le salut vient de l’amante, de la muse.
Ce recueil est également constitué de nombreux textes plus personnels qui expriment une sagesse certaine où le poète évoque sa vie et la mort qu’il ne cherche pas à fuir. L’écriture est au centre de ses préoccupations. Que ce soit en tant que traducteur dont « Babel est la douleur » (Le traducteur) ou critique qui annonce « d’une plume dilettante/les couleurs, les formes et les mots/ qui [l’]enchantent » (Le correspondant culturel), Pisani partage avec ses lecteurs ses tourments et passions d’écrivain. Bien entendu, c’est la poésie qui prime. Pastiches et références intertextuelles allant de du Bellay à Brel, en passant par Maurice Scève et Li-Bai, sans oublier les inventaires à la Prévert, nous entraînent dans une visite de la bibliothèque de Pisani. Mais ne pas évoquer l’humour qui caractérise bien des poèmes serait un grave oubli. C’est avec de la dérision que Pisani fait face à la déraison de notre époque. Et, parfois, l’autodérision est aussi de la partie : « Combien ne me suis-je pas courbé/devant la femme de mes rêves ?/Qu’y a-t-il dès lors d’étonnant/Que depuis quarante années et davantage,/devenue depuis, celle de ma réalité, elle me répète plus souvent qu’à mon tour:/Veux-tu enfin de tenir droit ? » En effet amour, humour et engagement sont les trois mots clés pour comprendre cette collection, magnifiquement illustrée par Carole Melmoux.