Foxfinder (2011) de l’auteure dramatique anglaise Dawn King, souvent primée pour ses pièces (la traduction en français de Séverine Magois est une première mondiale) confronte le public à un univers sombre, inquiétant par moments d’un couple de fermiers de l’Angleterre rurale. Ils luttent, face à un représentant de l’État, pour garder l’exploitation de sa ferme, soupçonnée d’être infestée par des renards. Le but, inavoué, est de contrôler les fermiers/citoyens, comme dans une dictature, et de dénicher l’ennemi.
Dans la vision de la metteure en scène Véronique Fauconnet, la pièce plonge dès le début dans un univers mystérieux voire angoissant. Le couple de fermiers, Samuel et Judith Covey, attend William Bloor, un jeune homme chargé par l’État de faire un rapport très détaillé sur l’exploitation de la ferme qui n’a pas donné le rendement escompté, ce qui s’explique surtout par les dégâts dus à des pluies incessantes, un signe prémonitoire de l’auteure Dawn King d’un problème écologique actuel.
Bloor s’installe chez le couple, un intérieur, où la scénographe Anouk Schiltz (responsable aussi des costumes), opte pour la simplicité de l’ameublement, pour les fermiers une pièce de vie dont les murs recouverts d’une sorte de feutre gris foncé transparent, rehaussé par moments de plages de couleur orangée – une création de Manu Nourdin – qui laisse entrevoir côté jardin une chambrette permettant de loger l’enquêteur qui curieusement, le temps de son travail d’investigation vit chez ceux qu’il contrôle : une drôle de familiarité qui lui permet de jeter partout son regard d’inquisiteur.
Le regard soucieux de Samuel et Judith frappe, de même que leur nervosité en attendant l’enquêteur, incarné par le comédien Mika Bouchet-Virette, tranchant, à l’élocution précise, à l’attitude stricte. Dès son arrivée, il se montre sévère, pointilleux, à la recherche des maillons faibles. Il questionne sur le rendement insuffisant de la ferme, sur la vie privée, intime du couple, ainsi que sur leur fils, mort accidentellement très jeune, sur la maladie de Samuel qui se tient à l’écart. Judith, plus présente – Rosalie Maes dans un jeu très nuancé –, est obligée de se prêter à de pénibles interrogatoires.
L’enquête se poursuit auprès des fermiers voisins, la femme – Aude-Laurence Biver, oscillant habilement entre l’esprit critique d’une activiste et la résignation –, est aussi inquiète et lutte. Les femmes, démunies, sont pour ainsi dire poussées à trahir leurs voisins de peur de perdre leur propriété.
En fait, personne n’a vu de renards dans les environs mais cet animal rusé devient de plus en plus l’incarnation du mal qui détruit les récoltes, il est même soupçonné de s’attaquer aux personnes et par conséquent doit être éliminé. Un coupable idéal est trouvé, ce qui déresponsabilise l’État. Samuel – Matila Malliarakis très convaincant dans son rôle de paysan fragile depuis la mort de son fils, dont il se sent responsable et dans celui de chasseur de renards acharné et fou – réussit finalement, dans un renversement de situation, à pousser à bout William, malgré sa stricte éducation d’enquêteur, qui ressemble à celle d’un membre d’une secte. « Toute ma vie je me suis refusé ce dont j’avais envie. C’est ça que fait un foxfinder, dans l’intérêt de sa mission. »
Dans sa mise en scène très travaillée, qui reflète un éventail d’allusions, en complicité avec le jeu très réussi des comédiens, Véronique Fauconnet arrive à montrer dès le début de la pièce l’anxiété des personnages et le caractère oppressant d’un régime politique qui désoriente voire déshumanise l’homme. Elle rejoint ainsi l’intention de l’auteure qui, dans une écriture concise, réussit à dénoncer un État qui par un contrôle systématique devient dictatorial.
Foxfinder, une pièce à voir qui incite aussi, discrètement, à la réflexion.