Voice over IP

Quand l’Internet sonne

d'Lëtzebuerger Land du 06.05.2004

Et s’il n’y avait plus qu’une seule boîte à lettre, regroupant aussi bien le courrier électronique, les messages vocaux sur le GSM, les SMS et le répondeur au domicile. Et si un simple click de souris suffisait pour configurer aussi bien l’ordinateur que les téléphones fixe et mobile si on est joignable et, le cas échéant, par quel moyen de communication. Et si en plus, le tout, vidéoconférences comprises, était gérable dans un même interface graphique facile d’utilisation, que ce soit au bureau sur l’ordinateur ou sur la route sur l’organisateur électronique ou le GSM – un rêve, non ? Plus vraiment : ces solutions existent et de plus en plus de gens les utilisent. « Il est possible aujourd’hui d’éviter qu’on doive essayer d’abord au bureau, ensuite au domicile, puis au GSM et enfin via courrier électronique pour joindre quelqu’un, explique Laurent Saeul de Siemens. Mais pour le faire, il faut d’un point de vue technique disposer d’une base unique. Et cette base est aujourd’hui l’Internet, c’est-à-dire le protocole IP. » Cette vision devient pour de plus en plus d’entreprises très concrète. La notion clé qui se cache derrière s’appelle « Voice over IP » (VoIP) ou « téléphonie Internet », c’est-à-dire faire passer la voix du téléphone commuté classique sur les mêmes réseaux informatiques que l’Internet ou les Intranets. Les réseaux informatiques de type Ethernet existent depuis des décennies, qu’ils relient des ordinateurs à un niveau local (LAN) ou même à plus grande distance (WAN). Or, ils ne sont guère adaptés aux appels téléphoniques. Dans un réseau commuté classique, le standard téléphonique établit une ligne stable entre deux points qui reste ouverte tout au long de la conversation. Dans le protocole IP par contre, la voix est transformée en petits paquets de données informatiques qui, grâce à une adresse, sont envoyés vers le destinataire où on rassemble les paquets de nouveau dans le message original. Or, il restait longtemps impossible de donner plus de priorités à un paquet qu’à un autre. Si le réseau était libre, la conversation se déroulerait sans accrocs. Si un autre utilisateur du réseau surfait sur le Web, on risquerait de n’entendre plus grand chose de la conversation. De nouvelles technologies de quality of service (QoS) permettent aujourd’hui aux fournisseurs d’équipements téléphoniques de dépasser ces barrières en donnant une priorité absolue à la voix sur un réseau, peu importe son degré d’utilisation. Premier client, les entreprises Cette évolution intéresse en premier lieu les entreprises nouvelles ou celles qui s’installent sur un nouveau site. Grâce au VoIP, un seul réseau d’entreprise suffit. Plus besoin de tirer des câbles séparés pour le téléphone et les ordinateurs. Plus besoin non plus d’avoir deux types de qualifications dans son équipe de maintenance. L’investissement est peut-être un peu plus cher qu’un équipement classique. « Mais les économies sont réalisées par après, explique Paul Schmit de BCE, la filiale de RTL Group. Si une entreprise est répartie sur plusieurs sites, par exemple, elle n’aura plus besoin de deux lignes louées de télécommunication, une seule suffit. De même, en cas d’un déménagement d’un collaborateur à l’intérieur de l’entreprise, plus besoin de changer le poste et de tirer de nouveaux câbles. Il suffit de changer un code informatique. » Les acteurs du VoIP sont d’abord les grands du monde de la télécommunication classique : Alcatel, Nortel, EADS et Siemens, par exemple. Mais il y a aussi Cisco, connu pour ses routeurs Internet, qui franchit ainsi le pas de l’informatique vers la téléphonie. BCE, les équipes techniques de RTL Group qui s’adressent depuis cinq ans aussi à des clients externes avec leurs services, fait confiance à un producteur allemand moins connu mais de très haute qualité, Innovaphone. VoIP n’est pour aucun d’eux un rêve d’avenir, mais une réalité. Sur les 12 000 postes de téléphones installés par Siemens au Luxembourg l’année dernière, 3 500 ou trente pour cent fonctionnaient sous VoIP. Ils ont été installés chez trente clients différents. On y trouve notamment les multinationales Arcelor et Goodyear ou encore le Centre de conférence provisoire sur le terrain de LuxExpo au Kirchberg, avec ses salles de réunions pour le Conseil des ministres de l’Union européenne et les centaines de postes de travail pour diplomates et journalistes. On y a poussé l’intégration tellement loin que même les téléphones portables du personnel ne fonctionnent plus selon le standard classique DECT mais, grâce à un réseau WiFi (wireless LAN), en VoIP. BCE pour sa part a, par exemple, équipé les 140 postes de travail de la PME Multidata Computersysteme de Weiswampach d’un système IP complètement intégré. BCE se dit très satisfait de l’écho rencontré avec leur solution technique auprès des clients. La téléphonie IP pose cependant toujours certains obstacles aux utilisateurs et comprend certains désavantages comparée à la télécommunication commutée. Il y a d’abord la sécurité : en s’intégrant au monde informatique, le téléphone s’expose aussi aux virus et hackers. « C’est aussi une question de culture, estime Laurent Saeul de Siemens, on s’est habitué au fait qu’un ordinateur doit être de temps à temps redémarré, mais pas encore au fait que cela puisse arriver au téléphone. » Un autre défi qu’il faut surmonter, est le décalage créé dans le VoIP. S’il dépasse un certain nombre de millisecondes, la qualité de l’appel devient exécrable. Le réseau informatique doit donc répondre à certains critères de qualité. « Chaque mission commence par un audit de l’infrastructure existante, » expli-que Claude Mihnjak, responsable télécom de BCE. Un dernier obstacle est très banal. Un téléphone classique peut être installé partout : deux fils de cuivre, l’appareil, et ça tourne. Pour faire du VoIP, il faut par contre une alimentation électrique extérieure. L’arrivée du VoIP dans les entreprises se fera peu à peu. « La clientèle est encore peu sensibilisée à la téléphonie Internet, constate Claude Mihnjak. Mais nous avons beaucoup de contacts où nous savons que la prochaine étape sera le Voice over IP. » Convaincre le client est aussi chez Siemens à l’ordre du jour. « L’euphorie pour les nouvelles technologies est finie, reconnaît Laurent Saeul. D’abord il faut qu’il y ait une réelle valeur ajoutée dans le produit avant que le client investisse. » Le mot d’ordre est donc la migration douce des réseaux commutés vers le VoIP. « Il faut d’abord protéger l’investissement des clients, explique Laurent Saeul. Mais pour les utilisateurs aussi il faut une approche graduelle, sinon ils ne suivront pas les nouveaux services que la technologie leur offre. » Les équipements de télécommunications sont ainsi en principe hybrides, c’est-à-dire qu’un même standard téléphonique peut gérer à la fois un réseau commuté et un réseau IP. La solution Innovaphone de BCE fonctionne en cohabitation avec le réseau traditionnel. L’équipement est simplement intercalé entre le réseau téléphonique externe et la centrale existante. Une opération de quelques minutes seulement. Sur un même numéro d’appel, on peut installer certaines extensions sous VoIP alors que le reste continue à fonctionner comme avant. Chez Siemens, on vise surtout une clientèle à partir de vingt postes de travail. En dessous, les investissements nécessaires pour mettre le réseau à niveau seraient souvent trop élevés pour des structures plus petites. Chez BCE, on dispose par contre aussi d’un équipement – en fait intégré dans un téléphone d’apparence normale – dédié aux réseaux avec moins de vingt abonnés. Coût : moins de mille euros, alors qu’un téléphone IP de base peut coûter moins de cent euros. « Nous pensons qu’il existe un grand potentiel au niveau des PME qui n’ont pas d’équipes techniques propres, » explique Claude Mihnjak. VoIP chez soi Si la téléphonie Internet intéresse avec ses applications avant tout les entreprises, elle s’invite aussi dans le domaine résidentiel. Siemens dispose ainsi d’applications pour des centres d’appels, permettant d’intégrer sans problèmes via une ligne DSL, par exemple, un collaborateur au domicile. Pour les collaborateurs en voyage, il est possible d’utiliser leur ordinateur portable comme téléphone. On peut aussi, par exemple, offrir à un agent d’assurances, qui souvent a déjà accès au réseau informatique de sa compagnie, de l’intégrer complètement dans le réseau téléphonique interne sans coûts supplémentaires pour les appels internes. Mais même en dehors de la vie professionnelle, le VoIP progresse. Si Coditel peut promettre sur des affiches qu’après le « zap, zap » de la télévision et le « click, click » de l’Internet, le câblodistributeur offrira bientôt le « ring, ring » du téléphone, c’est grâce à des solutions VoIP où les services Internet sur le câble coaxial de Coditel sont utilisés pour y connecter aussi le téléphone. Ces solutions, en DSL ou sur le câble, sont particulièrement intéressantes parce qu’elles vont souvent de pair avec de nouveaux modes de tarification. L’Internet est de plus en plus vendu en volume de données (x Gigabytes) plutôt qu’en minutes d’utilisation. Surtout entre deux abonnés Coditel, le câblodistributeur pourrait ainsi offrir par exemple la gratuité de tous les appels contre un certain forfait mensuel. Des formules qui existent déjà aux États-Unis. « La téléphonie Internet deviendra une réalité, et ce sera un réel problème pour les opérateurs, s’inquiète Marcel Gross, le directeur général des P[&]T Luxembourg. Pas à cause de la concurrence, mais à cause de la nature forfaitaire des tarifs. La logique du lien entre le volume de la consommation et la facturation s’y perdra. » Il y aurait un réel risque que dans un tel modèle, il faudra investir pour gérer le volume qui passe sur les réseaux sans pour autant avoir la possibilité via la tarification de générer de nouveaux revenus. Pour les opérateurs aussi, le VoIP pourrait donc signifier un changement de paradigme. Michael Powell, le grand patron de l’autorité de régulation des télécommunications américaine FCC, parle ainsi de la téléphonie Internet comme d’une « disruptive technology ». « Pour un opérateur comme nous, explique Marcel Gross, la solution ne peut venir que par de nouvelles valeurs ajoutées que nous offrons à nos clients. Il faudra offrir des services, du contenu, développer des ‘package’ complets. C’est un réel défi. »

Jean-Lou Siweck
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