Combien le matin ? Un ou deux ? Une dizaine ? Une centaine par 24 heures ? Le courrier électronique, pour pratique et rapide qu'il est, peut se révéler un véritable fléau. Les Français ont même inventé un nouveau mot pour désigner ces e-mail publicitaires et autres communications non sollicitées : si un courrier électronique ordinaire s'appelle « courriel », l'équivalent pour l'anglais spam est le terme « pourriel ».
Peu importe, en fait, le nombre de pourriels qui bourrent votre boîte à lettre électronique tous les jours. Le législateur luxembourgeois considère (encore) qu'un peu de désagrément ne fait pas le poids face au potentiel de promotion que représente le courrier électronique pour les entreprises.
Le gouvernement et la Chambre des députés s'étaient dès le début montrés plus que pusillanimes en la matière. Les obligations européennes leur laissaient la possibilité d'interdire les pourriels sauf pour les cas où le destinataire s'est lui-même inscrit dans une liste de diffusion (comme c'est le cas, par exemple, sur www.land.lu). Au nom de la liberté d'entreprise, ministres et députés ont cependant préféré se contenter d'une protection minimale des internautes. La loi sur le commerce électronique de 2000 ne prévoit ainsi qu'une solution dite d'« opt-out ». Le destinataire de spam a ainsi la possibilité de s'inscrire sur une liste reprenant tous ceux qui refusent les messages commerciaux un peu comme l'étiquette « Pas de publicité, s.v.p. » sur une boîte à lettre ordinaire pour le snail-mail.
Or, cette protection minimale reste jusqu'à ce jour inopérante. Bien que prévu par la loi du 14 août 2000 sur le commerce électronique, le fameux registre « opt-out » n'a jamais été créé. Le règlement grand-ducal annoncé par la loi se fait toujours attendre. Et il y a peu de chances qu'il voie encore le jour.
La bonne nouvelle vient de Bruxelles. En 2000, lors de l'adoption d'une première directive européenne, les ministres n'avaient que pu se mettre d'accord sur une solution minimale. Les gouvernements nationaux gardaient le choix sur cette question. Deux ans plus tard, en 2002, une majorité a pu être trouvée pour renforcer les dispositions. Dorénavant, c'est la règle de l'« opt-in » qui est imposée par Bruxelles : seuls ceux qui se sont activement inscrits sur une liste peuvent légalement recevoir des courriels commerciaux non sollicités.
Au Luxembourg, on a enfin réagi. Après avoir longtemps résisté à la solution de l'« opt-in », on met même les bouchées doubles. Deux projets de loi voulant introduire les nouvelles règles sont ainsi sur le métier. Henri Grethen, ministre de l'Économie, prévoit d'abolir l'« opt-out » dans le cadre de sa réforme de la loi sur le commerce électronique. François Biltgen, ministre délégué aux Communications, veut en faire de même dans le cadre d'une nouvelle loi relative à la protection de la personne dans le secteur des communications électroniques.
Le Conseil d'État, grand gardien de la cohérence de la législation luxembourgeoise, n'apprécie guère ce genre d'activisme : un des deux projets de loi fera (sur ce point) l'affaire. L'avis des « sages » au sujet de la réforme de la loi sur le commerce électronique ressemble aussi dans d'autres parties au scénario de Massacre à la tronçonneuse. Le ministre de l'Économie a ainsi droit à une opposition formelle et à une telle ribambelle de leçons que cela remplirait un cursus scolaire.
La réforme de la loi était pourtant attendue. Dès son adoption, il n'y a même pas quatre ans, elle était fortement critiquée. Oui, elle transposait à la vitesse grand V la directive européenne relative à la signature électronique. Mais surtout les aspects de protection du consommateur, pourtant prévus par une directive datant déjà de 1997, avaient été éliminés en partie par Henri Grethen du texte que son prédécesseur Robert Goebbels lui avait laissé. Ce ne sera donc qu'avec la nouvelle mouture de la loi que les clients luxembourgeois de commerces sur Internet auront enfin le droit d'être informés du prix toutes taxes comprises du produit ou du service qu'ils s'apprêtent à acquérir et à être protégés de commerçants peu scrupuleux qui oublient de les informer des coûts de livraison ou qui recourent à des clauses abusives dans leurs contrats.
On est en droit de regretter que ce sont toujours et encore les éléments de protection des consommateurs qui sont sacrifiés sur l'autel du cadre légal libéral supposé rendre le Luxembourg attractif auprès d'investisseurs éventuels. Mais de toute façon, c'est rarement la loi luxembourgeoise qui intéresse les internautes locaux quand ils font leurs emplettes par voie électronique.
« According to the statistics, eCommerce hardly exists in Luxembourg, » écrit le Cepros. Le Centre d'études prospectives a présenté la semaine dernière une actualisation de son étude de 2000 Luxembourg Business in the New Digital Economy.1 Seulement neuf pour cent des PME luxembourgeoises avec plus de dix salariés offriraient leurs produits ou services par Internet en 2002. Elles ne seraient même que 54 pour cent à disposer d'une connexion Internet. La grande faiblesse du rapport, dans ce cas comme en général, est cependant l'absence de vérification de ces données sorties de statistiques internationales dans la réalité luxembourgeoise - malgré de nombreuses interviews qui auraient été conduites avec des acteurs du terrain.
Force est de constater que la loi sur le commerce électronique n'a jusqu'à aujourd'hui guère fait son effet. Pour l'instant, les retombées économiques du taux de TVA le plus bas d'Europe ont convaincu davantage les géants du commerce électronique.
Le principal objectif de la loi de 2000 était l'introduction de la signature électronique, c'est-à-dire de reconnaître l'équivalence entre une signature manuscrite sous un contrat en papier et une signature électronique dans un échange de messages entre internautes. Or, le cadre légal prévoit un dispositif technique très précis pour reconnaître cette équivalence. Des installations informatiques qui font toujours défaut.
À l'origine, c'étaient les banques qui voulaient jouer aux pionniers du commerce électronique au Luxembourg. Après l'éclatement de la bulle de la « nouvelle économie », leur enthousiasme était vite retombé. En automne 2002, le projet a été relancé sous le nom « LuxTrust » dans le cadre d'une coopération entre banquiers et main publique. Un groupement d'intérêts économiques (GIE) a été mis en place début 2003 afin d'analyser la viabilité d'un « Trust Centre » au Luxembourg, à qui reviendrait le rôle d'émettre et de certifier les signatures électroniques luxembourgeoises. Si les voix les plus optimistes avaient espéré que l'installation pourrait être en place dès la fin 2003, il n'en est rien. Jusqu'ici, seuls les besoins des éventuels utilisateurs ont été identifiés. Les prochaines étapes sont maintenant l'élaboration d'un plan d'affaires et, surtout, la mise en place de la structure d'exploitation (et de financement !) du Trust Centre.
Dans son avis sur la réforme de la loi sur le commerce électronique, le Conseil d'État a en attendant mis le doigt sur un aspect particulièrement dangereux de la politique de niche que le Luxembourg veut poursuivre, cette fois-ci dans le commerce électronique. Le gouvernement prévoit en effet de dispenser les prestataires de services dans le secteur Internet de tout contrôle du contenu qui peut bien passer par leur serveurs, disques durs ou réseaux.
En 2000, la Chambre s'était pourtant pliée à une objection du Conseil d'État et avait introduit une « obligation de contrôle spécifique » pour les sites racistes d'une part et les images pornographiques de l'autre. Le gouvernement revient maintenant, au nom de la liberté économique, à charge. Au moins il ne pourra pas clamer son innocence le jour où l'image du Luxembourg prendra un coup de plus.