Ce qui ressort en premier, frappe d’emblée dans l’exposition consacrée à Franz West au niveau 6 de Beaubourg, rétrospective de quelque 200 œuvres, c’est une sorte de jubilation. Et pareil enjouement, pareille joie vive carrément, s’avère bien sûr expansive, saisit le visiteur au long des salles, n’est-il pas invité très vite à se saisir des Passstücke, pièce en plâtre avec une tige de métal, prothèses blanches, pour en jouer ensemble avec son propre corps ; il lui est même donné de le faire en toute discrétion, ou intimité, dans un box au rideau tiré. Et plus loin, jusqu’à la sortie, les sculptures-meubles sont là, telles assises en métal pour le moins, où il peut s’asseoir, comme sur les divans recouverts de tapis plus ou moins élimés, connus depuis une lointaine Documenta.
Voilà pour ce côté expansif, dans un certain sens, l’exposition a le même caractère dans le fait de s’être étendue. Les sculptures monumentales de l’artiste autrichien ont investi le Marais, une boule au musée national Picasso, des formes plus tarabiscotées au musée Cognacq-Jay, à la bibliothèque historique de la Ville de Paris. Leurs cours ou jardins, d’un coup, se sont mis à prendre une tout autre allure, plus vivante, anarchique, contre la belle et rigoureuse ordonnance architecturale. Car là on l’on introduit Franz West, il ne subsiste plus de règle, son art tire sa beauté de cette négation, de la confusion. D’où poussent les fleurs les plus inattendues.
Avant les Passstücke, ce sera pour les années 1970, Franz West, de son vrai nom Franz Zokan (avant qu’il ne reprenne le nom de sa mère), né en 1947, commence par régler ses comptes avec ce qu’il trouve autour de lui, à Vienne, l’art nouveau, l’actionnisme (qu’il rejette, le trouvant trop violent). Cela donne des dessins de très petit format, à la manière de, Mutter Kunst, dit-il, de l’art pour faire plaisir à sa mère, pour lui montrer qu’il travaille, alors qu’il considère comme idéal de ne rien faire et de pouvoir en vivre. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’une invention incessante, quelque 6 000 pièces répertoriées, essaimant dans toutes les directions, où si souvent l’art et la vie se rejoignent.
Après les Passstücke, c’est la couleur qui s’introduit, souvent d’ailleurs des artistes amis la mettent sur les sculptures appelées légitimes. Et là, en plus de la coloration, et des formes incongrues du papier mâché, on s’arrête au jeu multiple, varié, des socles ; il en est de toutes sortes, et s’il peut encore y en avoir faits d’un bloc de bois, peint en blanc ou en gris, ailleurs des objets en tiennent lieu, pots de peinture vides, fers à béton tordus… Franz West fait socle de toute chose, et va jusqu’à inverser les rôles : dans la collaboration avec Heimo Zobernig, voilà que des socles se dressent sur les œuvres de West, sur une sculpture, sur une peinture, « le signe d’une grande ouverture d’esprit », commente Zobernig.
À côté de Gruppe mit Kabinett, des sculptures comme malaxées placées sur des tables, vous avez pris place sur des Knotzen, en aluminium laqué ; la langue autrichienne a de ces expressions, même si l’on n’y est pas tellement à l’aise pour se vautrer (et puis on est dans un musée). On ne le fera guère non plus sur les Cool Books, devant les Lemurenköpfe (il en est placés sur le Stubenbrücke à Vienne), dont Franz West voulait qu’on remplît les gueules de détritus. L’irrévérence fait partie de cet art, et l’impertinence des nombreuses peintures, collages plutôt, à partir de pages de magazines, où une vingtaine d’œuvres mises ensemble sur un mur portent comme titre l’Art pour l’art ; il est vrai que le visiteur reste extérieur, rien à manipuler, pas de quoi prendre place.
Dans Psyche, au contraire, si West joue encore sur les mots, et Freud est son référent si souvent, on est deux à pouvoir s’asseoir devant, avec l’image renvoyée et multipliée : So wie der Gedanke zur Skulptur flieht… Course ou fuite toujours passionnante, d’un bout à l’autre d’un œuvre libéré de toute contrainte, s’épanouissant dans le plus total ludisme (poussé à un point tel qu’il en acquiert une rigueur indéniable).