Parce que l’espace l’impressionna, elle y élut quartier, comme pour l’apprivoiser. Durant dix jours, début septembre, Tina Gillen travailla dans la Salle du Conseil, au rez-de-chaussée du beau bâtiment art déco du Bozar, construit par Victor Horta dans les années 1920. La salle toute sobre a néanmoins des dimensions conséquentes : cinq mètres de hauteur, quatorze de profondeur et sept de largeur. « Cela m’aurait paru insensé d’accrocher simplement des tableaux ici », me raconte l’artiste luxembourgeoise qui vit et travaille à Bruxelles, dans son exposition. Invitée par le Bozar, dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise du Conseil des ministres de l’Union européenne, comme Bert Theis il y a dix ans, Tina Gillen voulait statuer un grand geste, comme un statement de la mi-carrière (elle est née en 1972), faire un état des lieux de ses recherches esthétiques.
Après avoir réalisé ses esquisses sur une maquette à l’échelle, comme une ébauche architecturale, elle se lança : le mur arrière, habillé de bois multiplexe, devint la surface pour une peinture murale, dont certains éléments sont repris dans un deuxième grand tableau sur bois, posé par terre, comme un début d’appropriation de la troisième dimension. Aux murs, deux tableaux récents, dont Rain or Shine, réminiscence d’un voyage en famille aux multiples brisures, où l’émerveillement et l’angoisse semblent s’entrechoquer. L’espace toutefois est entièrement structuré par un élément presque architectural, une construction sculpturale en bois de quatre mètres de large qui traverse la largeur de la salle. L’élément, constitué de triangles rouges de différentes dimensions, est une citation d’un élément d’un de ses tableaux, Structure, datant de 2011. Ici, il devient comme une grille de lecture, orientant le regard et découpant les volumes.
Si cette escapade vers la troisième dimension peut surprendre les fans de Tina Gillen la peintresse d’œuvres sur toile ou sur papier, elle n’en est toutefois pas à sa première tentative : En 2001, pour sa première exposition chez Alex Reding, alors que celui-ci occupait encore Alimentation générale place de Strasbourg, elle paignit de grandes fresques murales, dont Ceiling, un grand aplat de noir découpé par une sorte de grille blanche. Avec le recul, cela semble avoir été comme une esquisse pour Structure. En 2006, dans le parc de la Dexia route d’Esch, elle installa la sculpture en métal Monkey Bars, qui fut elle aussi une transposition d’un motif d’une peinture, Playground. Au Bozar, Tina Gillen continue donc cette pratique de l’auto-citation, en développant par exemple jusqu’à l’abstraction la maison retournée de son tableau Hurricane, qui montrait une maison déracinée par l’ouragan Katrina en 2005.
Ce qui rend l’exposition bruxelloise intéressante est l’ambition d’offrir une installation all-over, qui occupe tout l’espace lui étant réservé. Et on peut y suivre la dialectique qui traverse le travail de Tina Gillen, dialectique entre figuration et abstraction, de plus en plus minimaliste et géométrique, mais aussi entre une tendance romantique dans ses recherches les plus récentes (ah, ce coucher de soleil...) et les brisures et ruptures très dures et violentes qui transpercent ses motifs. La peinture murale est un exemple de réduction extrême de son vocabulaire pictural : réduit à trois couleurs (le noir, le blanc et la couleur du bois), elle change de nature selon l’angle du spectateur, dévoilant parfois son motif réduit à ses contours, se cachant d’autres fois sous des éléments géométriques abstraits, dont la technique brute n’est pas sans rappeler le travail d’un Jens Wolf, qui expose également chez Nosbaum-Reding.
« Je veux créer des images qui réverbèrent sur votre rétine », disait Tina Gillen dans une récente interview au magazine belge Agenda. Pénétrer son exposition au Bozar équivaut à pénétrer son univers tout entier, où les structures architecturales et urbaines se décomposent peu à peu pour faire place à une introspection universelle.