Fort d’une carrière marquée par des passages à l’Opéra de Saint-Étienne, à l’Opéra national du Rhin et au CCN - Ballet de Lorraine, Grégory Cauvin a pris mi-octobre la direction du Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan. Motivé par l’histoire du lieu, par son positionnement transfrontalier, qu’il décrit comme un « concentré d’Europe », autant que par « l’outil » culturel qu’il représente, Grégory Cauvin ne cache pas son enthousiasme d’avoir rejoint cette scène majeure, qu’il défend déjà avec ferveur. Entre une pandémie interminable, et une fin de travaux espérée au terme de 2022, il compte bien ruser d’imagination et d’expérimentation, pour faire vivre son projet coûte que coûte, dans et hors les murs du Carreau.
d’Land : Vous prenez position dans une situation assez inédite, au cœur d’une saison morcelée par cette crise sanitaire interminable. Comment montrer et soutenir le spectacle vivant à l’heure des restrictions sanitaires ?
Grégory Cauvin : La programmation cette saison a été pensé à la fois avec la contrainte des travaux ; dans une bonne harmonie avec les maîtres d’œuvre et l’architecte, tout en essayant de continuer à montrer des spectacles ; et également, la difficulté à se projeter. Ce n’est un secret pour personne, on subit une épidémie assez nouvelle et nos projections ne peuvent se faire que de semaine en semaine. C’est donc assez compliqué de trouver des parades dans ce contexte très changeant. Pourtant, il y a eu deux beaux exemples de solutions qui ont été mises en œuvre. Durant le Festival Loostik (annulé en novembre 2020, ndlr) KORB, un spectacle de la Cie Blah Blah Blah, a été accueilli lors d’une résidence de fin de création et d’une présentation devant un parterre de professionnels. Leur objet a été extrêmement précieux, car il a permis aux équipes en interne de se motiver, malgré la situation, et aux artistes de développer des perspectives de reprise et de diffusion.
Un autre exemple, s’est décliné pendant le festival Primeurs (annulé et passé au format digital, ndlr). Un projet de lecture a été transformé, en accord avec le metteur en scène Rémy Barché, en un objet virtuel, une lecture filmée dans différents endroits du Carreau et qui sera diffusée sur internet. Chacun des partenaires du festival a réfléchi à comment transformer ses propositions traditionnelles, c’est-à-dire une lecture en face d’un public, en des propositions qui soient compatibles avec le Covid. On essaie d’inventer des choses pour soutenir le monde du spectacle, les artistes, et trouver comment faire des ponts avec le public, pour ne pas voir tout le système s’effondrer.
Avec les craintes que suscite la crise sanitaire, comment faire revenir le public dans les salles de spectacle ?
Certes, on a enregistré un petit tassement de la programmation selon les chiffres que j’ai vus, au niveau des abonnements, ce qui peut s’expliquer par l’impossibilité de se projeter à l’heure actuelle. Mais on est assez surpris de n’avoir pas de perte de fréquentation. Les gens ont envie d’aller au spectacle et notre job c’est de les mettre dans la plus grande confiance de sécurité, en étant très transparent sur tout le protocole sanitaire que nous pouvons mettre en œuvre. On met tout en place pour accueillir de façon sereine nos spectateurs. On communique énormément là-dessus, parce que notre public est principalement franco-allemand et l’Allemagne n’a pas la même réalité par rapport au Covid. Le public allemand pourrait se questionner sur le fait que les théâtres rouvrent en France, et restent fermés chez eux. Il nous faut donc être très rassurant, mais on sent une soif de culture, une soif de spectacle, une soif de partager des moments au théâtre.
Le Carreau est une scène connue pour sa proposition pluridisciplinaire de spectacles locaux et internationaux et son ancrage à dimension transfrontalière. Quelle sera votre ligne artistique pour la programmation des saisons à venir ?
Il s’agit bien entendu de rester fidèle au nerf de la scène nationale, avec des équilibres un peu différents. Il y a une volonté de conforter les propositions chorégraphiques, qui ont vraiment un sens dans un espace transfrontalier, avec l’absence de langue qui permet de partager la représentation. Il y a aussi une envie de valoriser nos espaces d’expositions, par les arts visuels et la performance, ainsi que de renforcer tout ce qui tourne autour de la musique. Je viens de l’opéra et de la musique classique, donc c’est vrai que j’ai vraiment envie d’avoir des propositions qui prennent en compte ces aspects-là, et d’autres formes de propositions musicales. La musique aura un rôle très important dans ma programmation, à l’image du théâtre musical que peuvent proposer des structures comme le Grand Théâtre de Luxembourg.
La programmation restera intergénérationnelle, autour de temps forts comme le Festival Loostik destiné au jeune public, mais il s’agit aussi de ne pas hésiter à travailler en permanence en collaboration avec d’autres structures du territoire élargi. Travailler à l’extérieur du Carreau, dans le cœur de ville, que le Carreau soit un espace non seulement pleinement reconnu par la population alentours, mais aussi qu’il aille vers des formes plus originales. Le temps des travaux est d’une certaine manière un magnifique moment pour tester des propositions hors les murs, parce qu’on a l’obligation d’être imaginatif, servir cette volonté de présenter le spectacle vivant aussi hors des salles. Il s’agit aussi de proposer une vision de la création contemporaine mais aussi de porter une attention sur la créativité du territoire. On est implanté dans une très grande région, qui va de Strasbourg à Mulhouse, à Reims et Châlons-en-Champagne, avec une vitalité culturelle très forte. Sans oublier les régions transfrontalières que sont l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg… Il y a une volonté d’avoir un regard à plusieurs échelles..