Déjà, et plus encore maintenant, alors que les reports et les annulations dans la culture perdurent, il s’agit de l’urgence de se « réinventer » en tant qu’artiste du (spectacle) vivant, mais aussi de pallier les difficultés de travailler seul, sans écoute ou regard extérieur, et de se laisser surprendre quant à l’exploitation d’une matière artistique, par d’autres artistes, enfermés eux aussi dans leur intimité… Triptyphon, est un bonbon, une gâterie, à savourer les yeux fermés, écouteurs dans les oreilles, et la morosité laissée sur le bas côté.
Le 29 juin dernier, le collectif Maskénada sort sur la plateforme Kultur Kanal (kuk.lu), et sur les ondes de la radio 100,7, le tout premier épisode de Triptyphon. La série de podcasts est montée comme une solution pour les artistes de continuer à créer, et pour le public de continuer à rêver, comme l’explique Larisa Faber, créatrice du projet, « pendant le premier confinement Serge Tonnar, alors Président de Maskénada (dont elle est membre depuis 2012, ndlr), nous a vraiment encouragés à proposer des projets artistiques qui pourraient exister malgré la crise sanitaire. Je voulais faire quelque chose qui n’était pas lié à l’écran, et qui puisse connecter des artistes de différents domaines, dans les conditions du confinement ». Mêlant à chaque épisode, le texte d’un(e) auteur(rice), la voix d’un(e) acteur(rice) et l’ambiance sonore d’un(e) musicien(ne), Triptyphon est le résultat de la collaboration indirecte de trois artistes en carte blanche, associés pour dégager une œuvre audio originale et inédite.
Ainsi, dans ce paysage culturel morcelé par les fermetures imposées, et une vision à très court terme de la création artistique et sa diffusion, Triptyphon résonne comme une idée phare mais se positionne aussi et surtout comme un projet solidaire, « je voulais rassembler un grand nombre d’artistes, se trouvant face à des annulations, pour qu’ils puissent continuer à créer. L’idée est de pouvoir réunir des artistes autour d’une création qui n’est pas liée aux limites du confinement et qui nous permet de continuer à travailler, gagner quelque chose… Parce que quand on parle d’art, il y a la vision conceptuelle et philosophique mais il faut aussi pouvoir vivre ».
Larisa Faber rassemble donc Nathalie Ronvaux, Aude Laurence Biver, Catherine Kontz, Nora Wagener, Nancy Mensah-Offei, C’est Karma, Caroline Gillet & Hugo Combe, Fábio Godhino, Stayfou, Judith State, Edsun, Luka Tonnar (mixage), et Julie Wagener (pour les illustrations), pour la première saison du projet, et autant d’artistes pour la seconde. Une sélection éclectique, faite « au feeling », de personnes qu’elle « admire », ouverte aux créatifs hors des frontières, en essayant de garder un équilibre dans les langues, pour un projet qui se veut libertaire, « je n’encadre rien. L’idée est de donner carte blanche à chacun et de découvrir ce qui se dégage de chaque trio », conclut Faber.
Entamée magnifiquement par un poème de Nathalie Ronvaux, interprétée par Aude-Laurence Biver et mise en musique par Catherine Kontz, cette série d’objets sonores parfois hybrides, montre, « la nécessité qu’ont les artistes à s’exprimer quoi qu’il arrive », comme l’explique Aude-Laurence Biver, pour ajouter, « le concept de travailler à plusieurs, sans se concerter, est une très belle idée. Même si je me suis sentie seule avec mes doutes ». Des compositions en trio, à l’aveugle, qui trouvent pourtant une étonnante harmonie, en témoigne ce podcast introductif, alliant la poésie de Ronvaux et la douceur de Biver sur une composition musicale expérimentale, réalisée par des battements sonores des mains de Kontz.
Au deuxième épisode, c’est Nancy Mensah-Offei qu’on entend, en conviction, sur le texte cynique de Nora Wagener, et sous la musique en touche et en retenu de C’est Karma. Dans un style très différent, le troisième opus signé par Caroline Gillet et Hugo Combe pour le texte, et à la musique par Stayfou, engage une forte intimité, comme le confirme Fábio Godhino qui y pose sa voix, « je voulais être le plus spontané possible. J’ai essayé d’en faire une parole donnée, comme quand les pensées nous traversent l’esprit. J’ai essayé de conserver une parole vivante et dynamique dans le rythme, pour garder la fraîcheur du texte de jouer ce texte d’une façon très personnelle ». Et de fait, si Triptyphon s’adapte pleinement aux conditions actuelles de création, le projet pousse les artistes qui y participent, à travailler autrement, « ça m’a fait réfléchir à la relation qu’on peut avoir à un texte et à sa création, que finalement, ça n’a pas toujours besoin d’être exposé sur scène », précise le comédien. Larisa Faber conclut la première saison avec son texte en anglais dépeignant un monde révolu, par le biais d’une proposition d’interprétation multilingue et précise de Judith State, et une ambiance sonore éthérée signée Edsun.
La deuxième saison de Triptyphon a pris forme, dans les oreilles des auditeurs, par un premier texte interprété par la Britannique Andrea Hall et mis en musique par Filip Markiewicz sous Raftside, signé par l’autrice au style inimitable, Claire Thill, qui explique, « l’idée du cadavre exquis pluridisciplinaire me parlait. La matière qui se dessine au fur et à mesure, l’échange artistique entre différents créateurs sans se parler auparavant. On communique par notre art, chacun dans sa chambre, et le résultat donne un univers collectif très particulier, un mélange de plusieurs voix artistiques sans qu’une seule ne prenne le dessus ».
Ainsi, même si pour l’instant, comme l’explique encore Larisa Faber, « la plupart des textes parle du confinement de la pandémie, des thèmes qui préoccupent les auteurs en ce moment », Triptyphon est clairement une idée qui survivra au déconfinement. Ce projet né dans la moins stimulante des périodes, constitue un vrai genre de création à part entière, une discipline en tant que telle, et on gage de son inscription intemporelle dans les initiatives culturelles luxembourgeoises.