L’exposition n’aurait pas pu trouver meilleur titre : Soft as a rock, poétique paradoxe qui donne le ton, et au visiteur la marche à suivre. Ce n’est pas par hasard qu’il concerne justement ce qui dans la sculpture, dans notre perception, pourrait être essentiel, si seulement nous pouvions (en avoir le droit) toucher les œuvres. Les matériaux, ou matérialités, dans leur consistance, dans leur texture, nous voici réduits à les palper, voire les caresser des yeux (un peu parallèlement, encore que plus concrètement, à l’œil qui écoute, cher à Claudel en peinture). Mais les paradoxes de Vera Kox vont plus loin, touchent au statut même, à note image (classique) de la sculpture.
On me rétorquera que jamais la sculpture ne s’est quand même privée de se colleter au mouvement. On ne remontera pas toutefois au groupe de Laocoon, prêtre troyen attaqué par des serpents avec ses deux fils, ou au début du vingtième siècle aux futuristes italiens, Boccioni par exemple et son Homme en mouvement, et plus près de nous les œuvres tourbillonnantes de Tony Cragg. Non, il s’agit de tout autre chose avec Vera Kox. Et le titre d’une autre exposition, récente, met sur la voie : … into deliquescence. Délitement, certes, mais plus précisément, changement, fluidité. Des œuvres dont on dira qu’elles semblent toujours en vie, ça sommeille peut-être, ça continue à respirer.
Le visiteur, dans les deux salles, est confronté à ce qui s’apparente à des tas, à quelque chose de froissé, comme une boule de papier. C’est posé par terre, en tout cas sans véritable socle, qui donne à la sculpture une proéminence. Cela peut changer de forme d’un moment à l’autre, se gonfler, mais non, notre œil s’est trompé, cela semble soft, mais la céramique est du rock, solide, dur… Dialectique du statique et du dynamique ; du rigide, du fixe et du souple, du malléable ; du permanent et du fugace.
Infinity jetzt !, c’est l’œuvre la plus ancienne de l’exposition, elle date de 2014, et son titre, une fois encore, joue sur les extrêmes. Des plaques de verre font une longue suite qui semble, par la vitre de la galerie, entrer ou sortir, tel un insecte, un animal sans pattes, au corps mou, avec les parties entre les plaques, de la mousse expansive, légèrement, délicatement coloriée. Mais à l’autre bout, à l’intérieur de la galerie, comme pour des dominos, ou de tout autre façon, dans un accordéon, les plaques de verre se sont penchées jusqu’à se retrouver couchées, à l’horizontale. On aura compris que notre œil peut lui-même opérer le mouvement, dans les deux sens, rien n’est donc figé, du moins dans notre perception. Tout est réversible. L’art, sur ce point, est friand d’illusion, d’un temps lui aussi modulable.
Pour le reste, il n’appartiendra qu’au visiteur de retenir les sculptures de Vera Kox comme renvoyant, telles des métaphores, tels des avertissements aussi, au monde où nous vivons, soumis aux changements les plus radicaux, effrayants des fois. Changements dus dans une très large mesure à la cohabitation ancienne de l’homme avec la planète, ce qui porte d’aucuns à réclamer une sorte de l’anthropocène, pour entrer dans une nouvelle ère, tout autre, la symbiocène où l’empreinte des humains se trouverait réduite au minimum. Contexte très large dans lequel il n’est pax interdit de voir les sculptures de Vera Kox.