Est-ce qu’à Dudelange, ville de quelque 21 500 habitants et 111 nationalités dont soixante pour cent de Luxembourgeois, on est à sa place ? « On (y) est et on (y) reste ? ». Voilà l’affirmartion sur laquelle s’achevait, dans le cadre de l’année culturelle 2007, l’exposition Retour de Babel.
Le titre de la nouvelle exposition aux galeries de Dudelange Re-Retour de Babel, pourrait faire craindre quinze ans, une génération et une manifestation culturelle plus tard, un retour de boomerang. On y repose les questions de Retour de Babel : « être à sa place », « rester et être », avec Justine Blau comme commissaire et les artistes qu’elle a invités. D’une manière douce et sensible.
Welcome stranger, du bienveillant Marco Godinho, datant de 2007 justement, accueille de tout son éclat de néon le visiteur à la galerie Dominique Lang, comme il rythme, telle une respiration, le parcours des œuvres à la galerie Nei Liicht : une plaque d’égout ouverte, dans laquelle il faut éviter de tomber, une échelle extensible qui permet de monter plus haut et encore des obstacles plus ou moins hauts qu’il faut enjamber pour arriver au bout de la course.
Autre fil conducteur de l’exposition, les photographies d’Andrés Lejona. On se souvient de ses photographies de Dudelangeois dans leur intérieur, en 2007. Cette fois, les portraits de leurs enfants sont des diptyques. (On notera en passant que les intérieurs sont beaucoup plus sobres comme l’est l’habitat moyen d’aujourd’hui). Ils ont choisi de présenter ce qui leur importe de leur héritage familial et culturel : les photos de famille pour telle jeune femme, dont le frère a lui disposé ses jouets d’enfant sur une table fabriquée par son père aujourd’hui disparu. Une boîte en carton qu’un de ses parents portait en guise de chapeau en 2007 pour une autre jeune femme, une chaise basse à coudre traditionnelle espagnole, posée sur le rocking-chair dans lequel il se repose habituellement lui-même tel monsieur et, puisqu’il est connu de par sa fonction de Directeur des affaires culturelles de Dudelange, John Rech, les cloches des vaches des alpages du Haut-Adige, ou plutôt, comme son nom d’origine germanique ne l’indique pas, du Süd-Tyrol, dont est originaire sa famille.
À Dudelange, pour beaucoup, on vient d’ailleurs : Cap Vert, Brésil, Iran, Macédoine. On n’est donc pas du tout étonné qu’une artiste, Julie Polidoro, dans un très beau travail sur toile, représente, telle une carte routière, dont les plis sont rebelles quand on veut la poser à plat, un paysage de montagnes et, également à Nei Liicht, une carte du monde, où les continents sont comme des îles (ou des territoires inconnus de même couleur uniforme beige) dans le bleu des océans. À la galerie Dominique Lang, à l’inverse, les pays sont autant d’îles dans des océans inexistants et donc inatteignables (Isole I et II, 2019).
Les mots et les langues, bien sûr, comme mémoire, collectivité, filiation et transmission qui sont les racines de l’arbre généalogique de Luisa Bevilacqua, sont essentiels dans cette exposition. Ainsi des noms dans la vidéo de Nicoline van Harskamp Mein Name ist Sprache, où une jeune femme, exilée en Autriche, dit son amour pour les prénoms Julian, Markus et Florian et la difficulté de s’appeler Mohamed ou Mehmed. Comment pourront-ils avoir accès à un titre universitaire où on les nommera « Herr Doktor » ? Un usage qui creuse encore aujourd’hui un fossé social hérité de l’Autriche-Hongrie.
Les barrières entre l’universel et l’individuel s’expriment aussi sans mots. On a beaucoup aimé le personnage, de Immy Mali. L’artiste ougandaise l’a créé à la suite d’un échange virtuel par réseau social interposé, en collant les captures d’écran de Snapchat sur des plaquettes de verre qui forment la silhouette de son œuvre Virtually Mine. Et puis, il y a ce retour à la terre. Comment ne pas être pris d’émotion devant la vidéo de Marianne Mispelaëre à la galerie Nei Liicht, Bordres Against The Wind Generated By The Wind ? On est aux Pays-Bas, le vent souffle, les éoliennes tournent comme les moulins autrefois. Marianne Mispelaëre tresse, pour se défendre des éléments déchaînés, un rempart de chaume avec lequel on couvrait autrefois les maisons d’un toit protecteur…
C’est juste avant que l’on ne revienne aux mots, avec les broderies de Aïda Patricia Schweitzer, sur des tissus de linceul des îles caraïbes : on terminera sur celle-ci (Les) Yeux Mouillés de Pluie : « Mes identités plurielles font ma force ».