L’homme a l’habitude d’affronter la tourmente depuis qu’il s’est fâché avec l’homme d’affaires franco-israélien d’origine russe, Arcadi Gaydamak, condamné en France (par contumace) à six ans de prison pour son implication dans l’Angolagate, la vente de la dette angolaise à l’ex-URSS. Gaydamak ne lui aurait pas payé ses honoraires de conseil se chiffrant en dizaines de millions de dollars, alors qu’il l’avait aidé à placer le fruit des « commissions » servies dans l’Angolagate, notamment sur des comptes en banque et dans des fonds d’investissement au Luxembourg. Un moment gelé à la demande des autorités israéliennes, les fonds de Gaydamak furent débloqués des banques luxembourgeoises après que leur origine non douteuse fut démontrée et aussi en raison du manque de pugnacité des enquêteurs israéliens. L’argent ira en partie se réfugier à Chypre. Des démarches ont été engagées et pour certaines sont encore en cours dans plusieurs juridictions, dont Chypre, pour tenter de récupérer les honoraires impayés. C’est d’ailleurs Arcadi Gaydamak, du temps de leurs bonnes relations, qui lui avait présenté l’oligarque russe, Vitaly Malkin avec lequel les relations ont également fini par tourner au vinaigre. La crise financière, qui a mis à mal une partie de la fortune de Malkin et fait vaciller un certain nombre de banques en Europe, les a fait à nouveau se rencontrer. Mais là ou personne n’a envie d’être : devant le pôle financier du Parquet de Lugano.
Paul Dupont1 et Vitaly Malkin s’affrontent déjà devant la justice française suite à un désaccord sur la valeur d’un terrain de 500 hectares sur le littoral Corse, non loin de Porto-Vecchio. Un terrain que Malkin a payé un peu les yeux fermés, sur les recommandations de son conseiller financier, 50 millions d’euros, en passant par la société française Sasic sàrl, mais qui n’en vaudrait pas autant à ses yeux, étant donné les incertitudes qui pèsent sur la constructibilité des lieux. L’affaire a rebondi dans le Tessin en Suisse, où Paul Dupont, ressortissant luxembourgeois, dispose d’une partie de ses comptes en banque. Un document que le Land s’est procuré montre qu’à la demande de Sasic, plusieurs dizaines de millions d’euros ont été gelés dans une banque à Lugano, où Paul Dupont est titulaire d’un compte. L’affaire fait actuellement l’objet d’une contre-expertise en France et l’ancien conseiller de Malkin, contacté par le Land, a bon espoir de la voir arbitrer en sa faveur, considérant n’avoir rien à se reprocher.
Retour au pôle financier de Lugano. Conséquence de la malchance ou non, le nom de Paul Dupont se retrouve dans une procédure pénale ouverte à l’encontre des actionnaires et dirigeants de la banque suisse Aston Bank, en faillite depuis décembre 2009, après que l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, la FINMA, eut constaté des « manquements organisationnels graves » au sein de la banque. On est alors en novembre 2009.
Un communiqué de la FINMA relève l’existence d’une enquête des autorités de poursuites pénales tessinoises en cours à l’encontre du directeur général d’Aston Bank et de son adjoint. « Ces deux responsables, note le communiqué du régulateur Suisse, sont accusés d’avoir utilisé des fonds à des fins privées et d’avoir falsifié la comptabilité pour dissimuler leurs prélèvements. Après l’arrestation du directeur général adjoint et le séjour à l’étranger du directeur général, la banque se retrouvait privée de direction. Également actionnaires principaux de la banque, les deux accusés n’offraient plus la garantie d’une activité irréprochable ».
Le Land a eu connaissance des poursuites pénales du chef d’abus de confiance, de gestion déloyale procurant un enrichissement illégitime et de blanchiment d’argent, principalement dirigées contre trois ressortissants italiens, dont l’ex-CEO de la banque, Alessandro Fabiani. La presse helvétique s’est également faite écho de ses poursuites.
L’enquête engagée par la procureure Manuela Minotti Perucchi va remonter jusqu’à Paul Dupont, cité dans la procédure (mandat de perquisitions et de séquestre) pour avoir prétendument servi d’intermédiaire aux trois prévenus pour dissimuler des transactions suspectes. Accusations que l’intéressé dément d’ailleurs formellement. Dupont était un apporteur d’affaires comme les autres dans cet établissement. D’autres noms sont d’ailleurs tombés dans l’enquête suisse, de personnes physiques et de sociétés : celui notamment d’un ressortissant italien, résident au Luxembourg, qui se présente encore sur le réseau social Linkedin comme Equity Strategist à Aston Bank, ceux curieusement de trois sociétés luxembourgeoises, liées aux intérêts de Vitaly Malkin, dont la somptueuse maison de maître qu’il a achetée boulevard de la Pétrusse, un palace quatre étoiles en Corse et un autre bien à Paris.
Pour les besoins de son enquête, le Parquet de Lugano va tirer sur tout ce qui bouge, au point peut-être d’en faire trop et de s’emmêler les crayons dans les cibles qu’il voulait toucher : la magistrate suisse a-t-elle, comme le lui reprochent les avocats suisses de Paul Dupont, fait un amalgame facile entre son nom et celui de l’Equity Strategist d’Aston Bank en y ajoutant le mot-clef Luxembourg sur base du moteur de recherche Google pour que les intérêts liés à l’oligarque russe apparaissent dans la procédure ? Ses coups sont rudes en tout cas pour Paul Dupont qui voit tous ses comptes saisis en Suisse, à son nom personnel et à celui de sociétés exotiques dont il se déclare être le bénéficiaire économique. Les avoirs atteignent plus de 17 millions d’euros répartis auprès de la Julius Baer Bank à Zurich, Fortis Banque (Suisse), également à Zurich et Banco dello Stato del Cantone Ticino à Lugano. La somme la plus importante, plus de treize millions d’euros, concerne un compte ouvert au nom d’une société panaméenne, Cocamor Inc. Un autre, ouvert chez Fortis, montre un solde créditeur de quatre millions d’euros au nom de Pinewood Team.
La révélation de ces comptes font replonger loin en arrière dans le passé et remonter jusqu’à l’époque où les relations d’affaires entre Paul Dupont et ses clients milliardaires étaient au beau fixe.
Pour justifier l’origine non-délictuelle de son argent en Suisse, le déconnecter avec d’éventuels liens avec Aston Bank et les agissements présumés irréguliers de ses dirigeants et actionnaires et tenter de cette façon d’obtenir une levée du séquestre de la procureure de Lugano, Paul Dupont a donc dû justifier la probité de ses affaires et de ses revenus devant la justice. Sans grand résultat jusqu’à présent, puisque ses fonds restent toujours placés sous séquestre. Le Land n’a pas été en mesure de joindre le pôle financier de Lugano pour connaître l’évolution de l’enquête pénale et savoir si le gel provisoire des fonds allait être bientôt levé.
Droit dans ses bottes dans cette affaire, Paul Dupont a porté plainte contre le mandat de perquisition et de séquestre émis par la procureure Manuela Minotti Perucchi, considérant avoir été, ainsi que ses sociétés Cocamor et Pinewood Team « injustement impliqués » et disant ne pas comprendre la raison de sa présence dans cette enquête : en est-il témoin, suspect, inculpé ? Selon ses indications au Land, il a été convoqué par le Parquet de Lugano en juillet pour expliquer la provenance de ses fonds et ses relations avec Aston Bank. Un contrat de rétrocession le liait à cette banque depuis 2005, au terme duquel Aston lui versait un quart des commissions perçues sur les transactions réalisées pour le compte de ses clients. Les rétrocessions (pour un montant de 2,46 millions de dollars) ont été payées dans le cadre de trois mandats de gestion patrimoniale soumis au droit luxembourgeois et au droit des Iles vierges britanniques.
Les avoirs de Cocamor Inc bloqués à la Julius Baer [&] Co seraient relatifs à un fonds, Millenium Global Fund, dont Dupont est gérant et propriétaire à 50 pour cent par l’intermédiaire de la société de gestion Global Millenium Management Company.
Le compte à la Fortis ouvert au nom de Pinewood Team aurait été alimenté par des commissions de gestion dues par deux autres fonds d’investissement au parfum exotique, Premium Investment Fund Ltd et Global Alpha Star Ltd, à leurs gestionnaires respectifs Premium Investment Management Company Ltd et Global Alpha Star Fund Management, dont Dupont fut actionnaire à 50 p.c. entre 2001 et 2003. C’est du moins ce qu’un tribunal au Luxembourg aurait tranché.
Ces informations sur les fonds exotiques et leurs sociétés de gestion font faire un saut en arrière de plus de cinq ans et conduisent cette fois dans des banques luxembourgeoises, dont la Sella Bank (ex-IBL) et à deux de ses anciens cadres dirigeants, qui étaient notamment les directors de Premium Fund. Licenciés pour faute par leur banque, inculpés pour blanchiment et violation de leurs obligations professionnelles, les deux hommes ont été au cœur d’une enquête de la justice luxembourgeoise qui a mené le Parquet à des oligarques russes, dont précisément Arcadi Gaydamak. Ce dernier avait fait transiter des fonds au grand-duché via des organisations caritatives, afin de donner une odeur de sainteté à leur origine (d'Land, 24.03.2005). La justice a saisi l’argent en 2005 avant finalement de le laisser repartir dans la nature, faute de pouvoir faire autrement.
Retour à nouveau dans le présent. L’enquête ouverte cet automne en Suisse a fait l’objet de fuites et, sans que la coopération administrative en matière fiscale ait joué un rôle, des documents ont abouti, selon les informations en possession du Land, jusque dans le bureau du directeur de l’Administration des contributions directes. Ces pièces sont relatives précisément aux comptes Cocamor et Pinewood Team. Contacté par le Land, l’ACD a invoqué le secret fiscal qui empêche ses agents de communiquer la moindre information sur des dossiers de contribuables. Quoi qu’il en soit, la détention d’informations sur le patrimoine d’un contribuable luxembourgeois à l’étranger oblige théoriquement le fisc à faire des vérifications d’usage afin d’examiner si les revenus ont bien été déclarés au grand-duché.
Interrogé à ce sujet par le Land, Paul Dupont a reconnu que toutes les diligences n’avaient pas été effectuées, en raison notamment de la perte de certaines pièces comptables et qu’il s’attendait de ce fait à un redressement fiscal qu’il dit d’ailleurs être en mesure d’assumer pleinement. Un coup de ses anciens partenaires en affaires ?
Georges Canto
Kategorien: Finanzplatz
Ausgabe: 01.07.2010